Les détracteurs de Michael Ignatieff ne ratent pas une occasion de souligner son manque d'expérience en matière de politique et de gestion gouvernementale (ce qui est objectivement exact), mais ils ne pourront jamais l'accuser de manquer de confiance en lui-même.

Voici comment le nouveau chef libéral a résumé ses projets d'avenir, le week-end dernier, dans une entrevue accordée au chroniqueur James McNulty, du quotidien vancouvérois The Province:

 

«Je vais devenir premier ministre de ce pays, aussi certain que je suis assis ici devant vous, et je vais hériter du plus gros déficit de l'histoire du Canada.»

Ragaillardi, apparemment, par l'ambiance d'un congrès harmonieux et par des sondages qui lui sont favorables, M. Ignatieff a délaissé la retenue qui caractérise habituellement ses réponses. C'est peut-être ce qui explique aussi qu'il se soit rendu dare-dare à Ottawa, dès lundi, pour en découdre avec le premier ministre Harper.

Avant de se lancer avec tant d'enthousiasme, le nouveau chef libéral aurait néanmoins intérêt à s'équiper de crampons, comme le recommandait ce bon Marcel Tremblay. Parce que, à l'instar des trottoirs de Montréal en hiver, les terrains politiques sur lesquels il s'avance sont plutôt casse-gueule.

Tout d'abord, Michael Ignatieff se retrouve sur la même petite plaque de glace que tous les chefs de l'opposition devant un gouvernement minoritaire. Plus important encore que d'élaborer un programme, M. Ignatieff doit trouver le bon moment et la bonne manière de défaire le gouvernement.

Ce qui veut dire: trouver un bon moment pour son parti sans avoir l'air de faire passer celui-ci avant les intérêts premiers des Canadiens. Et espérer que les électeurs soient assez mécontents des conservateurs, sans toutefois être trop fâchés d'avoir d'autres élections.

Ce n'est pas si simple. L'expérience récente à Ottawa et à Québec, où quatre gouvernements minoritaires ont été élus depuis cinq ans, démontre qu'un seul a été renversé par l'opposition (celui de Paul Martin, fin 2005).

Rappelons qu'il y a quelques mois à peine, M. Ignatieff disait que les Canadiens avaient autant besoin d'une élection que d'un trou dans la tête! Il va falloir les convaincre que la situation a vraiment changé, faute de quoi c'est lui qui se tirera dans le pied.

Visiblement, M. Ignatieff veut profiter de sa lancée post-congrès pour traquer le gouvernement, pour le mettre sur la défensive, plutôt que de se faire attaquer lui-même.

L'idée est bonne, mais il va un peu vite en affaires avec ses demandes pour un assouplissement de l'assurance emploi.

Quand il accuse les conservateurs de laisser tomber les chômeurs, M. Ignatieff semble oublier que c'est le gouvernement libéral de Jean Chrétien, dans les années 90, qui a resserré l'accès au programme et diminué les prestations. Ce sont aussi les libéraux qui ont pigé allégrement dans la caisse d'assurance emploi pour éponger le déficit.

Les libéraux en ont d'ailleurs payé le prix aux élections de 1997, perdant 19 de leurs 30 sièges dans les Maritimes et à Terre-Neuve.

«Les coupes ont fait mal à certaines régions, c'est évident, avait reconnu Jean Chrétien au lendemain du scrutin. Mais nous n'avions pas vraiment le choix. Si nous ne l'avions pas fait, l'économie et même les programmes sociaux auraient souffert encore plus dans les mois et les années à venir.»

On pourrait dire la même chose aujourd'hui. Pondue à la hâte, la proposition de Michael Ignatieff visant à rendre plus accessibles les prestations à l'échelle du pays risque de recréer tout un contingent d'abonnés qui travaillent 10 semaines pour toucher ensuite des prestations d'assurance emploi pendant 42 semaines. Coûteux et pas forcément bien avisé en période de crise.

Autre terrain glissant: les champs de compétence des provinces, dans lesquels M. Ignatieff rêve de gambader avec une série de nouveaux programmes pour la petite enfance, pour l'éducation postsecondaire, la santé ou la formation de la main-d'oeuvre.

Mêmes lubies libérales. Même vocabulaire litigieux, où il est question de «plan national», de priorités nationales, de programme national. Et mêmes querelles en perspective avec Québec. S'aliéner le gouvernement Charest à ce moment-ci serait pour le moins contre-productif.

Tout dépend, évidemment, de la manière.

Michael Ignatieff, qui insiste avec raison sur le savoir, peut s'inspirer du succès de la Fondation canadienne pour l'innovation (une initiative du gouvernement Chrétien qui distribue des centaines de millions pour la recherche universitaire, dans la plus grande harmonie).

Ou il peut se rembarquer dans une controverse, comme le fameux programme des bourses du millénaire, qui vient d'ailleurs de prendre fin après 10 ans d'existence.

On pourra du coup vérifier si M. Ignatieff est sérieux quand il parle de décentralisation et de respect des provinces.