Les souverainistes fulminent depuis quelques jours contre le président Nicolas Sarkozy, qui vient de faire une nouvelle bombe dans la petite piscine de nos débats constitutionnels.

Ils fulminent avec raison parce que, quoi qu'en dise M.Sarkozy, le principe de non-ingérence dans les affaires des États étrangers est sacré en relations internationales. Les souverainistes ont raison d'être irrités, autant que les fédéralistes l'ont été dans le passé, notamment lors du célèbre «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle.

Même quand on fait partie de la famille, on devrait s'abstenir de passer des commentaires sur les problèmes matrimoniaux de ses frères et soeurs. Surtout quand on vit à 4000 km et que l'on n'est pas pressé de donner ni de prendre des nouvelles.

L'une des principales raisons de ne pas se mêler des affaires des autres, outre le fait qu'elles ne nous regardent pas, est que l'on n'a généralement pas la connaissance intime nécessaire pour se jeter dans la mêlée.

Un exemple. M.Sarkozy demande: «Croyez-vous que le monde, dans la crise sans précédent qu'il traverse, a besoin de division? A besoin de détestation? Et est-ce que, pour prouver qu'on aime les autres, on a besoin de détester leurs voisins?»

Cela prouve bien qu'il n'est pas au fait de la relation québéco-canadienne. Le Québec et le reste du Canada se connaissent mal. Ils s'ignorent souvent. Mais ils ne se détestent pas. On ne peut pas détester quelqu'un que l'on ne connaît pas.

Vrai, il n'y a rien de très positif dans les motifs qui expliquent le soudain élan des leaders du mouvement souverainiste (lutte pour la péréquation et contre une commission des valeurs mobilières ou, plus généralement, ce sentiment d'humiliation), mais il est faux d'affirmer qu'ils fondent leur action sur «la détestation de leurs voisins».

Que le président Sarkozy préfère un Canada uni, c'est son droit, mais il savait très bien qu'il mettrait de nouveau le feu aux poudres. Il a même avoué dans son discours devant Jean Charest que des proches collaborateurs lui avaient dit qu'il s'avançait sur un terrain glissant

Le président savait qu'il dérangerait, lui qui a dit dans le même discours avoir remarqué, lors de son passage devant l'Assemblée nationale l'automne dernier, qu'il y avait (parmi les députés) des «sourires un peu moins sourires». Il parle ici, évidemment, des députés péquistes, fort mécontents de son penchant pour le Canada.

Les petits épisodes psychodramatiques à répétition dans le triangle Paris-Ottawa-Québec sont le plus souvent provoqués par les... journalistes québécois, qui n'ont apparemment pas d'autres préoccupations, et ce depuis 30 ans, que de savoir ce que pensent les Français de nos débats politiques. Voilà qui est paradoxal : on insiste systématiquement auprès d'eux pour connaître leur opinion sur l'avenir constitutionnel du Québec, mais on leur reproche ensuite de s'immiscer dans nos affaires.

Cette fois, cependant, c'est le président Sarkozy qui s'est jeté dans le débat avec un enthousiasme évident, avant même la première question des médias.

À la limite, si M. Sarkozy est incapable de contenir sa profession de foi fédéraliste, il aurait au moins pu ajouter, comme l'ex-président américain Bill Clinton l'avait fait à la veille du référendum de 1995:«Nous préférons un Canada uni, mais ce sont les Québécois qui décident de leur avenir, pas nous.»

Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy (à l'exception du général de Gaulle, évidemment) de même que les premiers ministres français ont tous eu cette élémentaire délicatesse, même quand ils penchaient naturellement vers Ottawa.

Les souverainistes fulminent mais, au fond, ils devraient plutôt remercier le président Sarkozy, qui vient, mieux que n'importe quel leader souverainiste, de fouetter les ardeurs des partisans de l'option.

Depuis le temps que les souverainistes tentent d'obtenir la bénédiction de leur projet par les autorités politiques françaises, c'est son rejet qui pourrait, finalement, mieux servir leur cause.

Reste que le ton et les mots employés par le président Sarkozy ont profondément heurté les souverainistes à qui j'ai parlé ces derniers jours. Ce passage du discours en particulier:«Le refus du sectarisme. Le refus de la division. Le refus de l'enfermement sur soi-même. Le refus de cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l'autre.»

«Ce qui est très désagréable, c'est que, de plus en plus souvent, on associe souverainistes à sectaires, maugréait cette semaine Pierre Curzi, député péquiste de Borduas. Les fédéralistes nous collent l'étiquette de sectaires systématiquement.»

Les souverainistes, qui ont toujours maîtrisé les symboles et les mots contre les fédéralistes, craignent maintenant de se faire prendre au même jeu.

Comme de fait, Stephen Harper a saisi la balle au bond, mardi aux Communes, et traité Gilles Duceppe de «sectaire» parce qu'il accuse Ottawa de favoriser l'Ontario au détriment du Québec.

«C'est le sectarisme dont M. Sarkozy parle», a raillé M. Harper en répondant au chef du Bloc.

M. Harper, qui aime bien parler de la souveraineté canadienne, a bien vite récupéré les propos d'un chef d'État étranger pour balayer une question de politique purement interne. Si les opinions de M. Sarkozy l'intéressent à ce point, il aurait peut-être dû relever ce passage de son discours, sur la lutte cotre les changements climatiques : «Et pour tout dire, après des déclarations du président Obama, nous aimerions bien que ce soit toute l'Amérique du Nord qui comprenne que l'avenir de la planète dépend de ce que ferons ou pas d'ici la fin de l'année.»