En regardant s'accumuler les gros nuages gris dans le ciel des relations Québec-Ottawa, l'observateur pressé n'aura peut-être pas remarqué qu'au-dessus du couvert nuageux, les astres se sont récemment réalignés dans le firmament de la politique canadienne.

Et ces changements n'augurent rien de très bon pour le Québec.

Une petite note historico-politique, pour commencer.

La session parlementaire qui vient de s'ouvrir à la Chambre des communes présente une particularité rare: pour la première fois en plus de 40 ans, il n'y a pas de Québécois soit dans le fauteuil du premier ministre, soit dans celui du chef de l'opposition.

Cela est arrivé épisodiquement, mais avec des titulaires intérimaires, notamment entre février 2006 et janvier 2007, avec Stephen Harper au poste de premier ministre et Bill Graham à l'opposition officielle.

Que ni le premier ministre ni le chef de l'opposition officielle en titre ne soit du Québec, cela remonte à 1968, avec le tandem Pearson-Stanfield.

Anecdotique? Tout juste un petit astérisque en bas de page des futurs manuels d'histoire politique canadien?

Non, le repositionnement des forces en présence à Ottawa est, en réalité, lourd de signification.

L'histoire récente nous démontre bien que ce sont les premiers ministres issus du Québec qui ont mené les plus farouches batailles contre le mouvement souverainiste de leur propre province. Ce fut certes le cas des libéraux Trudeau et Chrétien.

Dans le cas de Brian Mulroney, c'est encore un Québécois qui aura fait le plus d'efforts pour essayer de raccommoder les choses entre le Canada et le Québec.

Plus tard, entre 1993 et 1996, le fait d'avoir un Lucien Bouchard, chef de l'opposition officielle, contre un premier ministre, Jean Chrétien, aura certainement marqué profondément les débats de l'époque. Et leurs effets sur la suite des choses.

Parlant d'alignement des astres, que réserve, pour le Québec, un tandem composé d'un premier ministre albertain (d'origine ontarienne) et un chef de l'opposition ontarien (qui a vécu 30 ans aux États-Unis)?

Il n'est pas anodin de noter que c'est Michael Ignatieff, alors candidat à la direction du Parti libéral qui avait lancé en 2006 le concept de reconnaissance de la nation québécoise, concept rattrapé au bond par le premier ministre Harper.

On connaît toutefois la suite: Michael Ignatieff s'est buté aux vieux réflexes centralisateurs du PLC et Stephen Harper, après une lune de miel prometteuse avec le Québec, lui a tourné le dos pour courtiser l'Ontario.

Les mauvaises relations entre M. Harper et Jean Charest, relations qui ne cessent de se détériorer depuis quelques mois, et les erreurs stratégiques élémentaires au Québec au cours de la dernière campagne électorale démontrent bien que le chef conservateur n'a pas beaucoup de sensibilité envers le Québec. Et visiblement pas l'intention de les cultiver au-delà des premiers gestes, comme la reconnaissance de la nation, le siège à l'UNESCO ou le règlement du déséquilibre fiscal.

Son fameux discours du 19 décembre 2005 à Québec allait beaucoup plus loin. Il était notamment question d'une «charte du fédéralisme» et d'un encadrement au pouvoir fédéral de dépenser.

De cela, il n'est plus question entre Ottawa et Québec. Lorsque vous posez la question dans l'entourage de Jean Charest, vous obtenez un long soupir de dépit. «Le fédéral n'est pas là-dedans pantoute à ce moment», résumait récemment un collaborateur de M. Charest.

Et à supposer que le gouvernement Harper ait déjà vraiment voulu aller plus loin avec sa «charte du fédéralisme» ou pour le pouvoir fédéral de dépenser, la crise économique vient de balancer par-dessus bord les dossiers «non prioritaires».

Il faut dire aussi, et c'est là l'autre phénomène majeur dans le réalignement des astres politiques, que le Québec se retrouve de nouveau dans une position familière parmi les autres provinces: isolé.

Après avoir connu un certain succès avec son Conseil de la fédération, après avoir mené de bonnes batailles avec ses homologues provinciaux (notamment en santé contre Paul Martin), après un rapprochement stratégique avec l'Ontario, Jean Charest est maintenant bien seul à la grande table.

Question de culture: les autres provinces n'ont pas d'objection à voir le fédéral jouer les premiers violons, même si cela veut dire décider de la partition pour tout le monde dans des domaines, pourtant, provinciaux.

Les fissures au front commun des provinces sont apparues de façon spectaculaire, l'an dernier, lorsque le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, a déclaré haut et fort qu'il ne voulait rien savoir d'une limite au pouvoir fédéral de dépenser parce que cela mettait en cause le rôle du gouvernement central.

Les divergences se sont encore accentuées ces derniers jours. D'abord parce que Jean Charest n'a pas trouvé d'allié dans sa lutte contre les changements à la péréquation et contre la création d'une commission des valeurs mobilières pancanadienne.

Question de culture, mais question de gros sous aussi. Dalton McGuinty a besoin du fédéral pour sauver l'industrie automobile en Ontario et il accepte maintenant avec une reconnaissance sans borne l'argent du ministre des Finances, Jim Flaherty, qui disait pourtant il y a quelques mois que l'Ontario est le pire endroit au monde pour investir. Money talks, comme on dit sur Bay Street, et l'argent n'a pas de couleur politique.

Résultat: le premier ministre libéral ontarien, hier en froid avec Stephen Harper, est soudainement devenu son meilleur ami, et Jean Charest, hier le meilleur allié des conservateurs à Québec, souffre d'isolement, une position si familière à tous ses prédécesseurs.

Pas étonnant que les souverainistes voient dans la conjoncture le début de nouvelles «conditions gagnantes».

Jean Charest, lui, avait cette semaine, comme disait Léon Dion, des airs de «fédéraliste fatigué».

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