Quiconque suit les aventures de l'increvable Jack Bauer de la série 24 depuis quelques années aura eu à faire face, à un moment ou un autre, au dilemme suivant: il y a quelque chose d'agaçant et souvent d'invraisemblable dans cette lutte acharnée des «bons» contre les «méchants» sur fond de drapeau américain. Mais, d'un autre côté, bon sang que cette série est accrocheuse!

Le secret de 24, mis à part le rythme et le caractère attachant du héros, c'est qu'elle amène chaque saison des éléments d'«actualité» nouveaux. Des éléments de fiction souvent précurseurs de ce que la «vraie vie» reproduira quelques années plus tard.

 

Ainsi, 24 a eu son président noir, et même un deuxième, le premier ayant été assassiné (souhaitons que cela ne soit pas un présage!) il y a déjà trois ou quatre ans.

Cette saison, qui vient tout juste de commencer, le président est une femme. Les auteurs de la série avaient peut-être en tête Hillary Clinton quand ils ont commencé à écrire les nouveaux épisodes.

Autre clin d'oeil tellement actuel: la saison (je pense que c'est la septième, de mémoire) s'ouvre sur le retour forcé de Jack Bauer, ancien agent spécial de lutte contre le terrorisme, aux États-Unis, à Washington plus précisément, pour comparaître devant un comité sénatorial à propos de ces méthodes passées (lire: torture).

Nous sommes toujours dans l'allégorie du bien et du mal, les sénateurs tenant ici le rôle des inquisiteurs devant l'hérétique qui a bafoué les valeurs américaines, sinon la Constitution. Celui-ci, vous l'aurez compris, avoue ses fautes, sans remords ni excuses puisqu'il a toujours agi pour la protection des États-Unis. Ce qui fait que, même méchant, Bauer est bon. Vous suivez?

Mme la présidente de la série veut redonner ses lettres de noblesse à l'institution de la présidence (tiens, ça ne vous fait pas penser à quelqu'un?), mais on sent bien qu'elle aura à prendre d'ici à quelques épisodes des décisions qui ébranleront sa candeur.

On ne regarde pas 24 pour les dilemmes moraux, bien sûr, mais le rapprochement entre la fiction et la réalité de ces jours-ci est frappant. Comme dans 24, les bourreaux, même ceux de la lutte contre le terrorisme, n'ont plus la cote dans le nouveau Washington obamien.

Première décision majeure, donc, quelques heures après s'être assis dans le bureau Ovale, Barack Obama a décrété la fermeture de la prison de Guantánamo d'ici un an. La prison américaine en sol cubain est tristement célèbre pour ses interrogatoires musclés et ses méthodes controversées pour soutirer des aveux aux présumés terroristes.

Le nouveau directeur de l'agence de renseignement américain, l'amiral à la retraite Dennis Blair, a lui aussi rejeté net tout recours dorénavant à la torture et à l'écoute électronique illégale.

Les Jack Bauer nés sous l'ère Bush ont intérêt à réviser leurs méthodes.

Il y a quelques saisons, dans le dernier épisode, Jack Bauer s'était enfui au Canada parce qu'il était recherché à cause d'une opération foireuse dans un consulat étranger. (Ce qui est cocasse puisque Kiefer Sutherland, acteur et producteur de la série, est... Canadien).

Si ce brave Jack devait de nouveau fuir le courroux du gouvernement américain à la fin de la présente saison, il pourrait paisiblement revenir au Canada. Ici, on ne se scandalise pas de la torture, des emprisonnements arbitraires et du mépris des droits fondamentaux des enfants soldats.

Voilà du moins l'image qu'envoie depuis des années le gouvernement Harper dans l'affaire Omar Khadr, ce jeune Canadien d'origine afghane capturé il y a sept ans par l'armée américaine et accusé d'avoir tué un soldat américain lors d'une rude bataille. Grièvement blessé dans la bataille, le jeune Khadr, alors âgé de 15 ans, avait été soigné puis transféré à Guantánamo, où il croupit depuis 2002.

L'accusé aurait fait des aveux et devait subir son procès ces jours-ci (avant le décret du président Obama). Toutefois, même son avocat, William Kuebler, un marine américain, rejette tout le processus puisque le jeune homme aurait été torturé.

«Le jeune homme est tellement désespéré qu'il aurait avoué avoir tué JFK», a lancé M. Kuebler, cette semaine, tournant en dérision des révélations faites par un agent du FBI.

Jusqu'à cette semaine, la question du rapatriement d'Omar Khadr au Canada était théorique. Elle est maintenant bien réelle.

Que fait le gouvernement Harper? Rien. Et que fera-t-il si le président Obama lui demande de rapatrier le jeune homme? On verra, répond-on à Ottawa. Le ministre de la Défense, Peter MacKay, s'est avancé cette semaine en disant que le Canada reverrait sa position (laisser le processus suivre son cours), mais il s'est fait rabrouer dans les heures suivantes par le bureau du premier ministre.

L'Australie et la Grande-Bretagne ont rapatrié en 2006 et 2007 leurs ressortissants emprisonnés à Guantánamo. L'Australien David Hicks vient d'ailleurs de recouvrer sa pleine liberté fin décembre. Des pays tels que le Portugal, l'Espagne et l'Allemagne songent à accueillir les prisonniers en soutien à la politique d'Obama.

Et nous? Rien. On attend. Au mépris de nos responsabilités envers nos ressortissants, au mépris des traités sur les enfants soldats et à contre-courant de la communauté internationale.

Le mot souveraineté, que Stephen Harper aime tant répéter quand il parle du Canada, n'est qu'une coquille vide lorsque le gouvernement ne s'acquitte pas des devoirs et des responsabilités qui l'accompagnent.

La première de ces responsabilités est de protéger ses citoyens. Tous ses citoyens.

C'est moins cute que d'aller planter des drapeaux canadiens dans l'Arctique, mais Omar Khadr emprisonné à Guantánamo relève bel et bien de la responsabilité d'Ottawa.