Oubliez le fait, une petite seconde, que Jean Charest a cédé à la tentation de revenir à un cabinet plus lourd, la composition de son nouveau Conseil des ministres est un exercice d'équilibrisme presque parfait.

Parfait pour sa répartition hommes-femmes (13-13), un moule coulé définitivement par Jean Charest et qui sera dorénavant impossible à briser.

Parfait pour sa représentation régionale, également. Des 17 régions administratives du Québec, seulement quatre n'ont pas de représentant à la grande table, soit la Côte-Nord, le Nord-du-Québec, Lanaudière et le Centre-du-Québec (les libéraux n'ont pas de députés dans les trois premières régions en question, de toute façon).

Parfait pour Montréal, qui voit son poids économique et démographique reconnu et respecté avec pas moins de 11 ministres (12, si vous ajoutez Michelle Courchesne, députée à Laval, dans Fabre), dont 10 seniors.

Parfait aussi pour Québec, qui garde deux ministres importants (Yves Bolduc à la Santé et Sam Hamad à l'Emploi).

L'équilibre a aussi été parfaitement respecté dans le mélange de vétérans et de recrues, avec 16 ministres de l'ancien cabinet et huit nouveaux visages.

On ne pourra pas accuser Jean Charest de courir de grands risques puisque, parmi ses 26 ministres, seulement deux sont de nouveaux députés (Kathleen Weil à la Justice et Serge Simard, délégué aux Ressources naturelles).

Parlant de Mme Weil, son accession accélérée au cabinet, à la Justice en plus, constitue, avec la nomination de Pierre Arcand aux Relations internationales, la grande surprise de l'exercice.

Trop tôt pour juger de la justesse de ces deux nominations, il faudra les évaluer à l'usage. À première vue, les deux ministres recrues semblent toutefois équipés pour accomplir les tâches que vient de leur confier le premier ministre.

Le seul point mou, en apparence, de ce nouveau cabinet, se trouve aux Affaires intergouvernementales canadiennes, poste confié au vétéran Jacques Dupuis.

Non pas que M. Dupuis manque d'expérience ou de compétences pour diriger les Affaires intergouvernementales canadiennes, mais il manquera de temps pour le faire, lui qui garde le ministère de la Sécurité publique et qui redevient leader parlementaire du gouvernement (en plus de la Réforme des institutions démocratiques).

Pourtant, les relations avec Ottawa et avec les autres provinces s'annoncent mouvementées au cours de la prochaine année. Voilà un drôle de message à envoyer que de confier ces fonctions à un ministre déjà surchargé.

Dans le cas de M. Dupuis, comme pour le reste du portrait de famille, ce n'est pas le nom des ministres qui étonne ou dérange. C'est leur nombre : 26.

En réduisant à 18 (9 hommes, 9 femmes) la taille de son cabinet après les élections de mars 2007, Jean Charest avait voulu indiquer clairement aux Québécois qu'il avait compris la leçon d'humilité qu'ils lui avaient donnée en élisant un gouvernement minoritaire.

Ce message avait fait mouche, d'autant que ce conseil des ministres, de l'avis unanime, s'était avéré particulièrement efficace et discipliné.

Cette fois, avec sa majorité retrouvée, Jean Charest n'a pas su résister à l'envie de récompenser ses députés, les régions et ses loyaux supporters au sein du caucus en revenant à un cabinet plus populeux.

Voilà qui est plutôt paradoxal. D'un côté, Jean Charest nous dit (il a fait toute une campagne électorale sur ce thème) que la crise économique et les temps durs approchent. De l'autre, il s'offre un cabinet plus gros et plus cher, comme s'il n'était pas parvenu à se discipliner lui-même dans ses premières décisions.

En vertu de quelle logique faut-il nécessairement plus de ministres sous un gouvernement majoritaire ? Autre que la logique politique, évidemment, qui veut que le premier ministre se sente plus libre de récompenser plus de monde.

Pour la petite histoire, rappelons que Lucien Bouchard, à l'époque de la «grande corvée» pour le déficit zéro, avait maintenu un cabinet minceur de 20 et 22 ministres.

Sans préjuger, encore une fois, des compétences des individus en poste, on peut s'interroger sur le besoin d'avoir des ministres délégués pour les Services sociaux (Lise Thériault), pour les Ressources naturelles (Serge Simard) ou pour les Transports (Norman MacMillan).

Idem pour le ministère du Tourisme, qui redevient responsabilité exclusive d'une seule ministre, Nicole Ménard.

Il faut regarder la carte géographique du Québec pour comprendre la «nécessité» de ces nominations. M. Simard est député du Saguenay–Lac-Saint-Jean, M. MacMillan, de l'Outaouais et Mme Ménard, de la Montérégie, trois régions orphelines de ministre.

Vrai, certains ministres étaient surchargés dans le précédent gouvernement, mais ils étaient néanmoins performants.

À preuve, Monique Jérôme-Forget, qui a cumulé avec brio Finances et Conseil du Trésor pendant près de deux ans sans échapper le ballon une seule fois.

Un autre argument milite en faveur d'un cabinet allégé : en temps de crise, quand il y a des décisions difficiles à prendre, moins il y a de monde autour de la table, plus c'est facile.

Cela évite les tours de tables lancinants et puis ça fait moins de monde à qui dire non.