Faire un détour par Ottawa, pour un premier ministre du Québec en campagne électorale, voilà qui est inusité.

Tellement en fait, que Jean Charest, soucieux de ne pas se faire accuser de fuir la campagne québécoise (ou de s'accrocher les pieds dans la capitale fédérale), a d'abord répondu, à Ottawa, aux questions sur la rencontre fédérale-provinciale, avant de traverser le pont interprovincial vers Gatineau avec toute sa caravane... pour un point de presse portant cette fois spécifiquement sur la campagne électorale au Québec.

La manoeuvre a probablement étiré la journée de tout le monde de deux bonnes heures, en plus de brûler inutilement du carburant, mais bon, Ottawa n'a beau être qu'à un jet de pierre du Québec, politiquement, c'est une autre planète.

On remarque d'ailleurs au fil des années et des visites que tous les premiers ministres du Québec de passage à Ottawa, et ce peu importe leur appartenance politique, semblent tous aussi à l'aise dans cet environnement qu'un agoraphobe dans un ascenseur bondé.

Jean Charest ne pouvait refuser l'invitation de Stephen Harper, après tout, c'est lui qui avait demandé cette rencontre d'urgence sur l'économie. Il n'avait toutefois aucune intention de s'éterniser. D'autant que les relations ne sont pas ce qu'elles ont déjà été entre lui et Stephen Harper.

Voilà la première chose que l'on voulait vérifier avec cette rencontre d'Ottawa: l'état des relations entre MM. Charest et Harper.

«Cordiales», dit-on autant dans l'entourage des deux premiers ministres. Cordiales, mais sans plus.

On ne peut certainement pas dire que le niveau de confiance mutuelle soit très élevé. Et, rien pour aider, c'est Josée Verner, l'ancienne ministre du Patrimoine et des coupes controversées en culture, qui est maintenant ministre des Affaires intergouvernementales de Stephen Harper.

Quand elle était au Patrimoine, les ministres du gouvernement Charest refusaient de participer à des annonces communes en sa présence. Imaginez un peu la scène: c'est elle qui est maintenant assise avec Stephen Harper à la grande table avec les provinces. Bonjour l'ambiance...

Jean Charest a reparlé d'infrastructures et en particulier du vieux projet d'un train rapide Québec-Windsor. Stephen Harper a écouté, poliment.

M. Charest a aussi demandé que le gouvernement fédéral accélère le versement de sa part pour les grands travaux. Noté aussi, poliment, par M. Harper.

Pas d'accrochage jusque-là, mais Jean Charest s'est braqué quand Stephen Harper est revenu avec cette idée d'une commission des valeurs mobilières unique pancanadienne, qui avalerait nécessairement celle du Québec.

Pas question, lui a répondu Jean Charest, rappelant la position unanime de l'Assemblée nationale: les valeurs mobilières sont de juridiction provinciale. M. Charest a prévenu son homologue fédéral que si Ottawa va de l'avant, Québec amènera la cause devant la cour d'appel du Québec pour obtenir un avis sur sa juridiction en la matière.

L'affaire est sérieuse et porte tous les germes d'une sérieuse pomme de discorde. L'entourage de Jean Charest reproche au gouvernement Harper d'être «obnubilé par cette histoire de commission unique pour des raisons dogmatiques».

«Ils (le gouvernement Harper) mélangent tout, ils mettent le papier commercial là-dedans, même si ça n'a pas rapport, ils veulent une commission unique par pure idéologie», dit un proche collaborateur de Jean Charest.

Selon le clan Charest, Stephen Harper annoncera son intention d'aller de l'avant dans son discours du trône de la semaine prochaine et déposera un projet de loi en ce sens avant la fin de la session. Si c'est le cas, la guerre entre libéraux provinciaux et conservateurs va reprendre de plus belle, c'est certain.

On sent d'ailleurs qu'il suffirait de peu. Le lien de confiance entre les deux anciens alliés est clairement rompu.

Pour les libéraux de Jean Charest, c'est Stephen Harper qui a porté le premier coup en rendant visite à Mario Dumont, il y a un an, à la Chambre de commerce de Rivière-du-Loup. Depuis ce jour, les ministres, les députés et les militants ont une dent contre Stephen Harper.

Pour les conservateurs, c'est d'abord Jean Charest, par sa décision de prendre l'argent du déséquilibre fiscal, en mars 2007, pour promettre des baisses d'impôts aux Québécois en fin de campagne électorale, qui a trahi la relation de confiance.

Les querelles sur la culture, lors de la toute récente campagne électorale fédérale n'ont fait qu'empirer les choses.

Peu importe qui a commencé. Des deux côtés de l'Outaouais, on est plus préoccupés à identifier les responsables de la bisbille qu'à chercher des solutions aux conflits.

Les relations Québec-Ottawa, décidément, c'est comme le hockey: y'en aura pas de facile.