Un vieux dicton veut que l'on soit bien seul au sommet. En politique, c'est encore plus vrai quand on en tombe.

Il y avait quelque chose de pathétique, hier à Ottawa, de voir Stéphane Dion annoncer sa démission au poste de chef du Parti libéral.

Pas dans l'annonce comme telle, celle-ci était inévitable, mais dans le décor, dans le contexte.

Comme ce fut le cas le soir des élections, à son quartier général, il y avait, hier à Ottawa, plus de journalistes que de supporters quand M. Dion est arrivé à sa conférence de presse. Sur le trottoir, en face de l'édifice de la tribune parlementaire, seulement trois de ses députés l'attendaient, dont un a été battu la semaine dernière. Parmi les grosses pointures du Parti libéral, seule Martha Hall Findlay a eu la délicatesse de se présenter, visiblement émue, pour saluer son chef.

Stéphane Dion quitte son poste de la même manière qu'il l'a occupé : seul, isolé, sans appui.

S'il y avait si peu de députés rue Wellington pour serrer la pince au chef démissionnaire, c'est que les plus importants d'entre eux sont déjà bien occupés à préparer la suite. Des sources fiables confirment que Michael Ignatieff et Bob Rae font beaucoup de téléphones depuis mercredi matin pour réactiver leur machine.

D'autres, comme Dominic LeBlanc, du Nouveau-Brunswick, ou Denis Coderre s'activent aussi en coulisse. En plus des John Manley, Martin Cauchon et Frank McKenna.

Un autre nom circule beaucoup dans les rangs libéraux, celui de Louise Arbour, mais cela tient plus du fantasme de certains militants que de la réalité politique. Chose certaine, la principale intéressée ne l'est pas, justement.

Reste donc, outre les prétendants déjà nommés, les suspects habituels : Scott Brison, Gerard Kennedy et le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty.

La bonne nouvelle, pour vous chers électeurs, c'est que la course qui s'ouvre chez les libéraux, vous garantit une pause électorale de 18 à 24 mois, le temps que le prochain chef arrive et que le PLC se refasse une santé.

Mais avant de parler du prochain chef, petit retour sur celui qui part.

Il est de bon ton, en ce genre de journée, de lever notre chapeau au chef démissionnaire, de souligner, encore une fois, le côté impitoyable de la politique et de rappeler que derrière le personnage politique qui s'efface, il y a aussi un être humain meurtri (et sa famille).

Meurtri, Stéphane Dion l'était hier. Frustré, aussi. On ne peut pas parler ici d'une décision sereine.

Donc, sincère coup de chapeau pour cet improbable politicien qui nous aura surpris plus souvent qu'à son tour depuis 12 ans.

Cela dit, les raisons avancées par Stéphane Dion, hier, pour expliquer la débandade de son parti sont très commodes, mais elles ne disent pas tout.

Vrai, comme Stéphane Dion l'a répété une bonne dizaine de fois, les conservateurs ont été particulièrement vicieux et efficaces depuis des mois à le dépeindre comme un mou dans leurs publicités négatives.

Encore une fois, Stéphane Dion a défendu sa piètre performance en disant que les Canadiens ne le connaissent pas, qu'ils ne connaissent que l'image peu flatteuse faite de lui dans les publicités conservatrices.

Il ajoute même que les Canadiens n'ont pas compris son Tournant vert parce que les conservateurs l'ont réduit en un caricatural stratagème pour hausser les taxes.

Cette explication typiquement «dionnesque» a, pour son auteur, un aspect réconfortant puisqu'il suppose que les Canadiens n'ont pas bien compris ses politiques et sa personnalité à cause des attaques des conservateurs. Ce n'est pas que le chef libéral n'a pas su convaincre ses concitoyens, c'est que ceux-ci ont subi un lavage de cerveau des méchants conservateurs.

Il est intéressant de noter que Stephen Harper, loin de prendre sa part de blâme pour ses insuccès au Québec, accuse lui aussi certains groupes d'avoir fait beaucoup de bruit à propos des coupes en culture.

En plus de sous-estimer l'intelligence des électeurs, MM. Dion et Harper refusent d'admettre qu'ils ont, chacun à leur façon, manqué leur cible.

Ce que Stéphane Dion n'a pas dit, hier, c'est que les conservateurs l'ont dépeint comme un mou parce qu'il a été incapable de démontrer le contraire, pas parce que les Canadiens croient tout ce qu'ils voient dans les publicités.

Si les conservateurs ont réussi à faire dérailler le Tournant vert, ce n'est pas parce que les électeurs gobent tout ce qu'on leur dit, c'est parce que les libéraux, désunis sur ce front, n'ont pas été capables d'en faire un élément électoral attirant.

Et si les Canadiens n'ont pas découvert ce Stéphane Dion cool, drôle, engageant, c'est peut-être parce qu'il n'existe pas. En tout cas, il est vachement bien caché et ça, ce n'est pas la faute de Stephen Harper, qui n'a rien d'un boute-en-train lui non plus.

Stéphane Dion est arrivé à la tête du PLC par accident, contre la volonté des militants de sa propre province et entouré d'ambitieux frustrés qui n'attendaient qu'une élection pour s'en débarrasser.

La grande réconciliation na pas eu lieu, surtout pas au Québec. Ça non plus, ce n'est pas la faute de Stephen Harper.

Les publicités conservatrices ne sont pas responsables non plus de l'inaction de Stéphane Dion qui a bousillé, de tergiversations en tergiversations, sa période charnière, soit un an, entre le printemps 2007 et printemps 2008. Après il était cuit.

M. Dion disait vouloir imiter Koutouzov, ce général russe qui fuyait l'armée napoléonienne en brûlant lui-même villes, villages et fermes en attendant que la famine et l'hiver ne coincent l'envahisseur en terres inhospitalières.

La stratégie, risquée, n'a de sens que si on finit par contre-attaquer l'ennemi affaibli, ce que n'a pas fait M. Dion. À force de mettre le feu, il s'est brûlé lui-même.