Si jamais Stephen Harper se réveille le 15 octobre au matin à la tête d'un gouvernement majoritaire, c'est que les Canadiens n'auront pas cru les chefs des partis d'opposition qui se sont ligués pour une deuxième fois, hier soir, pour dénoncer passionnément les politiques de droite des conservateurs.

Et si M. Harper se réveille, en effet, premier ministre majoritaire, ce ne sera certainement pas grâce à sa performance, au mieux ordinaire, lors du débat des chefs en anglais d'hier soir.

Ce sera plutôt parce que son principal adversaire, Stéphane Dion, n'aura pas réussi à convaincre les électeurs, en particulier les Ontariens, qu'il a ce qu'il faut pour devenir premier ministre.

On ne pourra jamais reprocher à M. Dion de ne pas avoir essayé ; mais la pression semblait tellement forte, hier soir, que l'on a cru, à un certain moment, qu'il allait éclater en sanglots. Répondant à une attaque de Stephen Harper contre son Tournant vert, le chef libéral s'est lancé dans une explication, en regardant droit dans la caméra, la voix tremblante et le « moton » dans la gorge. Une véritable supplication qui trahissait son désespoir.

Profitant de la fragilité de Stéphane Dion, le chef du NPD, Jack Layton, s'est faufilé et a offert la meilleure performance de la soirée. Oubliez Jack-le-jovialiste, le chef du NPD est devenu un sérieux compétiteur sur l'aile gauche de la politique canadienne.

La soirée a été difficile, par contre, pour le chef conservateur. Sur la défensive une bonne partie de la soirée (ce qui se comprend quand on se bat seul contre quatre), Stephen Harper a tenté d'imposer le ton dès les deux premières minutes en accusant Stéphane Dion d'avoir cédé à la panique en déposant en catastrophe un plan économique d'urgence, la veille lors du débat en français.

Mais les chefs des partis de l'opposition ont repris exactement là où ils avaient laissé la veille et ont tapé joyeusement sur le chef conservateur, qui a rapidement perdu son avantage psychologique.

Parlant de psychologie, M. Harper avait l'air sonné par moments, incapable de répondre efficacement aux critiques (et, il faut le dire, aux exagérations), comme il l'avait fait la veille lors du débat en français.

En toute justice, il faut noter que pour le deuxième soir de suite, le chef conservateur s'est fait tabasser par quatre adversaires impitoyables. Mais hier soir, l'enjeu était encore plus important, rien de moins que la différence entre un gouvernement minoritaire ou majoritaire, en particulier à cause du poids démographique de l'Ontario (106 sièges sur 308 aux Communes).

Que les quatre chefs de l'opposition se liguent contre le premier ministre sortant et prennent des numéros pour lui donner des baffes, ce n'est pas très surprenant.

Ce qui l'est plus, c'est que les chefs des partis de « gauche » se sont ignorés presque toute la soirée, comme si la division de la gauche n'était qu'une vue de l'esprit.

C'était jusqu'à ce que Jack Layton envoie une vilaine droite en plein estomac de Stéphane Dion.

« Vous avez appuyé ce gouvernement 43 fois ; vous êtes responsable de la longévité de ce gouvernement. Si vous n'êtes pas capable de faire votre job de chef de l'opposition, je ne sais pas comment vous pouvez vous présenter au poste de premier ministre ! »

En une phrase assassine, le chef du NPD a ruiné les laborieux efforts de Stéphane Dion pour passer son message et lui a rappelé que le poste de chef de l'opposition est aussi en jeu le 14 octobre.

De toute évidence, M. Dion était préparé à attaquer M. Harper, mais pas à se défendre contre le chef du NPD. C'était pourtant prévisible.

Le débat d'hier soir aura permis de confirmer ce que les précédents nous avaient laissé entrevoir : Stephen Harper n'est pas particulièrement à l'aise dans les débats. Il n'avait rien cassé, au contraire, en 2004 et 2006, lors de ses deux premières expériences. Et cette année, il paraissait aussi las, irrité, frustré.

Peut-être que l'explication se trouve dans la personnalité du chef conservateur. M. Harper, tous ceux qui le connaissent bien l'ont constaté, est un solitaire, un stratège froid, souvent très partisan, maniaque de contrôle, qui n'aime pas beaucoup se faire contredire. Un débat des chefs, c'est tout le contraire de ça.

Si Stephen Harper avait le choix, je ne suis pas certain qu'il se plierait à l'exercice, contrairement à Jean Chrétien, par exemple, qui n'a jamais tourné le dos à une bonne bastonnade.

Gilles Duceppe, lui, s'en est encore bien sorti, bien servi par son expérience et par le fait qu'il n'a rien à perdre dans un débat en anglais.

Comme il l'a fait à chacun des débats en anglais au cours des cinq dernières années, Gilles Duceppe a joué la mouche du coche avec un enthousiasme presque sadique.

L'option souverainiste de M. Duceppe n'est certainement pas très populaire à l'ouest de la rivière des Outaouais, mais il s'est sans aucun doute attiré la sympathie de bien des électeurs dans le reste du pays en rappelant que son parti est le seul à proposer une politique d'achat au Canada (« Buy Canada Act »).

Elisabeth May, la chef des Verts, a marqué des points, surtout dans le premier segment sur l'économie. La « grano » s'y connaît aussi en chiffres.

La chef du Parti vert s'est rendue aux débats des chefs portée sur une vague de sympathie des électeurs. Son défi hier soir était de prouver à ces électeurs qu'elle et son parti représentent une option crédible. Mission accomplie, ce qui n'est certainement pas une bonne nouvelle pour les libéraux en Ontario, en particulier.