D'abord, quelques considérations sur la forme, avant d'aborder le fond.

De tous les chefs fédéraux, Jack Layton est sans aucun doute le plus à l'aise devant une caméra, la plus adapté aux nouvelles campagnes hyper-médiatisées de notre époque. Ce format d'entrevue individuelle (one on one, comme on dit dans le milieu) devant un fond noir lui sied bien. Le contact virtuel avec les électeurs aussi, surtout quand il regarde directement la caméra.

Il faut aussi noter que Jack Layton a été très prompt à accepter cette invitation au Forum des chefs et qu'il n'a visiblement pas peur d'innover en campagne. Juste pour cela, chapeau.

De toute évidence, l'internet deviendra un acteur de plus en plus important dans les campagnes électorales. Les partis politiques qui comprendront cela les premiers auront une longueur d'avance sur leurs adversaires.

Autre chose, que vous aurez certainement remarquée aussi en visionnant cette entrevue : le français de Jack Layton s'est encore amélioré depuis la dernière campagne, ce qui en fait le chef le «plus» bilingue, si je peux m'exprimer ainsi.

On dit à Ottawa qu'un politicien anglophone a vraiment des ambitions nationales quand il se met sérieusement à apprendre le français. C'est le cas de M. Layton, qui clame haut et fort qu'il veut devenir premier ministre.

Cette affirmation fait encore sourire, même si le NPD a le vent dans les voiles et que son chef mène une très bonne campagne.

Le NPD au pouvoir? Non, ce n'est pas pour tout de suite.

Le vrai but de M. Layton, c'est de finir deuxième, d'obtenir le poste d'opposition officielle, ce qui n'est jamais arrivé au NPD. Cet objectif est ambitieux, probablement trop pour cette élection-ci, mais M. Layton est patient. Il construit, notamment au Québec, pièce par pièce et il gagne à être connu. Mais pour continuer sur sa lancée, M. Layton a besoin d'un gouvernement minoritaire.

Au Québec, le NPD a l'avantage de pouvoir chiper des votes aux libéraux et aux bloquistes, comme Thomas Mulcair l'a démontré dans Outremont. Les libéraux sont en perdition et le Bloc traverse une nouvelle crise existentielle.

Maintenant que le PQ a mis le projet souverainiste au frigo, maintenant que Gilles Duceppe n'en parle plus, le Bloc devient un parti «ordinaire» de gauche, comme le NPD. Tant qu'à voter pour un parti de gauche qui ne peut prendre le pouvoir, pourquoi ne pas voter NPD? C'est là-dessus que repose le potentiel de croissance du NPD au Québec.

Ailleurs au pays, le NPD demeure, sur le flanc gauche, la solution de rechange préférée pour les électeurs déçus par les libéraux. Un frappeur de relève, en quelque sorte.

Comme le NPD n'est pas toujours pris au sérieux, pas pour prendre le pouvoir en tout cas, cela donne une plus grande marge de manoeuvre à son chef. On le «picosse» moins sur son programme.

Pourtant, on devrait, parce que sa volonté de rouvrir l'Accord de libre échange va à l'encontre du consensus québécois.

Sur le fond, cette entrevue aura aussi permis de faire ressortir une grosse contradiction de Jack Layton.

Quand un internaute l'a interrogé sur la possibilité d'une coalition de partis de gauche, M. Layton a donné la réponse classique : je veux devenir premier ministre et le NPD joue pour la première place.

Par contre, question suivante, il se dit tout à fait d'accord avec l'instauration de la proportionnelle au Canada, l'un des seuls pays modernes, dit-il, à ne pas avoir adopté ce système.

Or si on applique la proportionnelle aux résultats des dernières élections fédérales, en 2006, on constate que libéraux et néo-démocrates, alliés naturels de centre-gauche, ont obtenu ensemble 47,5 des voix contre 36 % pour les conservateurs, ce qui donnerait, en sièges : PC : 112; PLC : 92; NPD : 54 et Bloc : 30.

Avec la proportionnelle, le gouvernement aurait donc été, vraisemblablement, une coalition PLC-NPD avec 146 sièges.

La proportionnelle, à laquelle tient tant Jack Layton, est une voie dorée vers le pouvoir. Mais cela passe par une coalition.