Le maire de New York, Bill de Blasio, a décidé la semaine dernière de convertir à la mixité les toilettes de sa ville. Toutes les toilettes publiques individuelles seront désormais « gender neutral », unisexes.

Pourquoi ? Parce que les toilettes pour « hommes » et pour « femmes » placent les personnes transgenres dans la position délicate de devoir revendiquer un genre en optant pour une des deux portes. Ne riez pas. Le sujet est très sérieux.

La mesure ne concerne que les toilettes individuelles, qui ferment à clé et dont la porte va du plancher au plafond. Elle s'applique à l'ensemble des bâtiments de la ville, aux parcs, aux piscines et à certains musées. Mais il n'est pas encore question de convertir les toilettes collectives, celles dont les cabines sont juste séparées par des panneaux flottants.

« Génial ! », dit Gabrielle Bouchard, qui coordonne le Centre de lutte contre l'oppression des genres à l'Université Concordia. « C'est une bonne chose. Cela donne à des gens une option qui n'existait pas. Par exemple, les gars trans ont souvent peur de se faire battre s'ils vont chez les hommes et ne veulent pas aller chez les femmes. »

Se faire battre ? « Oui. On reçoit régulièrement des appels de gens qui nous disent qu'ils n'ont pas bu de la journée parce qu'ils n'étaient pas certains d'avoir accès à une toilette et qu'ils ne se sentent pas à l'aise d'aller dans les toilettes hommes ou femmes. »

Étonnant, n'est-ce pas ?

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New York n'est pas la première ville américaine à légiférer sur les toilettes unisexes « pour lutter contre la discrimination genrée ». Washington a adopté une législation en 2006 pour exiger des toilettes neutres. Philadelphie, en Pennsylvanie, Austin, au Texas, Portland, en Oregon, et West Hollywood, en Californie, ont aussi adopté des lois au cours des dernières années.

Et Montréal, dans tout ça ? J'aurais bien aimé demander au maire Coderre ce qu'il en pense, mais il était en voyage d'affaires à Washington.

À ce que je sache, la Ville de Montréal n'a pas de politique de toilettes publiques neutres. Est-ce qu'elle devrait en avoir une ?

Pas certaine que ça réglerait les problèmes soulevés par les transgenres et les personnes qui se disent de sexe neutre, ni femme ni homme. Je m'explique. Les lieux où la violence ou le harcèlement peuvent survenir, ce sont davantage les toilettes collectives que les toilettes individuelles. Or, à New York et ailleurs où des lois ont été adoptées, ces toilettes ont conservé leur genre : hommes ou femmes. Et on sait que les personnes qui vont dans les toilettes individuelles ne courent pas grand risque, même si elles optent pour la porte des hommes quand elles sont des femmes, ou vice versa.

Où est le problème ? Les transgenres qui ont une apparence féminine, comme Caitlyn Jenner, peuvent très bien aller dans les toilettes pour femmes. Et les trans d'apparence masculine peuvent aller chez les hommes. La difficulté est sans doute plus grande pour ceux qui n'ont pas fait leur transformation. Ou encore pour ceux qui ne se sentent pas appartenir à un sexe en particulier, mais qui sont plutôt entre les deux.

Combien cela représente-t-il de personnes ? Sans doute pas beaucoup.

On le voit : c'est davantage une bataille symbolique pour les transgenres qui trouvent discriminatoire qu'on les force à choisir un genre qui ne leur correspond pas.

Pas étonnant qu'on parle de ce sujet. Les membres de la communauté transgenre sont omniprésents dans nos médias, à la télé et au cinéma. L'an dernier, Caitlyn Jenner a fait la couverture du Vanity Fair, l'actrice Laverne Cox s'est illustrée dans Orange Is the New Black, la série Transparent, à propos d'un professeur retraité qui amorce sa transition en femme, a remporté deux Golden Globes, et le film The Danish Girl, qui raconte la transformation du peintre Einar Weneger en Lili Elbe, a pris l'affiche sur nos écrans.

Sans parler de la chaîne Moi & cie, qui propose depuis janvier la docusérie Je suis trans, qui suit cinq Québécois de moins de 40 ans en transition vers un sexe différent de celui qui leur a été attribué à la naissance.

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Avant de faire l'objet de lois, le phénomène des toilettes neutres avait fait son apparition dans plusieurs établissements scolaires.

Au Québec, le cégep de Sherbrooke est le précurseur. Du moins, chez les francophones. Le cégep du Vieux Montréal et le collège Dawson ont suivi. Et depuis un mois, le collège Vanier, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, compte une quinzaine de toilettes neutres. Mais c'est Concordia qui détient le record avec plus de 80 toilettes unisexes.

« C'est tellement facile, souligne Gabrielle Bouchard. On n'a pas fait une révolution à Concordia. On a juste enlevé le signe sur la porte pour le remplacer par le mot "toilettes". »

La mairie de New York estime qu'il y a 25 000 transgenres dans la Grosse Pomme. Combien sont-ils au Québec ? On l'ignore. Les statistiques ne le disent pas. Mais selon Gabrielle Bouchard, du Centre de lutte contre l'oppression des genres, ils seraient environ 1000. Depuis six ans, 640 opérations transsexuelles ont été effectuées.

Autrement dit, les transgenres ne sont pas très nombreux. Et ceux et celles qui sont incommodés par la division traditionnelle de nos toilettes publiques, encore moins. Mais la transformation de « toilettes genrées » en toilettes neutres est peu coûteuse et facile à réaliser. C'est le cas type d'un accommodement raisonnable.

PHOTO TOBY TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Depuis octobre 2015, les personnes trans au Québec peuvent changer leur mention de sexe à l’État civil même si elles n’ont pas subi une intervention chirurgicale de changement de sexe.

A sign marks the entrance to a gender neutral restroom at the University of Vermont in Burlington, Vt., in this Aug. 23, 2007 file photo. THE CANADIAN PRESS/AP-Toby Talbot, File