Comment faire passer une société active dans le secteur glauque du prêt sur salaire pour une jeune entreprise montréalaise bourrée de potentiel ?

C'est simple, présentez-la comme une boîte qui se positionne dans le secteur prometteur de la technologie financière (fintech) en misant sur l'intelligence artificielle, l'expression à la mode par les temps qui courent. Déjà, ça paraît glamour.

Ajoutez ensuite une couche de vernis en insistant sur l'appui financier reçu d'une brochette de grands noms de Québec inc. qui confirment que l'entreprise a développé des algorithmes sophistiqués et qu'elle respecte scrupuleusement toutes les lois.

Voilà la recette de Techbanx et Finabanx sur lesquelles mon collègue Richard Dufour se penche dans un dossier publié aujourd'hui. Ces entreprises font du prêt sur salaire sous l'enseigne iCash, mais à l'extérieur du Québec seulement, car cela est défendu chez nous, Dieu merci.

Du prêt qui revient à l'équivalent de 300 % d'intérêts par année, pas besoin de ça ici !

Techbanx et Finabanx ont fait la manchette le mois dernier lorsque le Journal de Montréal a découvert que le président de la Coalition avenir Québec (CAQ), Stéphane Le Bouyonnec, agissait comme président du conseil de la société qui chapeaute les deux entreprises. Il a démissionné par la suite.

Ça paraissait drôlement mal.

Imaginez un peu, Québec vient tout juste d'adopter une vaste réforme de la Loi sur la protection du consommateur pour clouer le bec des vautours de la détresse financière qui faisaient de l'argent sur le dos du pauvre monde.

La CAQ a d'ailleurs appuyé cette réforme qui entrera en vigueur le 1er août prochain, comme on l'a appris avant-hier avec la publication des règlements dans la Gazette officielle.

Bon débarras !

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Au cours des dernières années, les prêteurs à court terme se sont multipliés au Québec en s'infiltrant dans les failles de la loi.

Ils imposaient des taux de crédit équivalant à plus de 300 % par année sans que les clients le réalisent, car le gros des coûts était constitué de frais de courtage prélevés par un « courtier » prétendument indépendant. Cela sera désormais interdit.

Ces prêts d'un mois ou deux sont présentés comme une bouée de sauvetage pour les gens à court d'argent. Mais en réalité, ils ne font que les caler davantage.

« Souvent, la solution n'est que temporaire et après, le problème est encore pire. On ne fait qu'étirer la misère de quelques mois », constate le syndic Pierre Fortin, du cabinet Jean Fortin & Associés qui compte 55 bureaux un peu partout au Québec.

En épluchant les dossiers de faillites des six derniers mois, il a découvert que 8 % des consommateurs avaient des créances auprès de prêteurs à court terme, comme Prêt Argent Rapide, Prêt Instant, Prêt 911, Crédit700.ca, etc.

« Ce sont des créanciers qu'on ne voyait pas il y a trois ans », assure M. Fortin.

Maintenant, certains clients les collectionnent. Parmi ceux qui ont un prêteur à court terme dans leur dossier de faillite, 15 % avaient deux créances différentes. Un autre 15 % en avaient trois ou plus.

Aïe ! Quand on met le doigt dans l'engrenage du prêt à court terme, il est difficile de le retirer.

Si vous n'avez pas d'argent aujourd'hui, vous risquez fort de ne pas en avoir non plus dans quelques semaines.

Si les banques refusent de vous prêter, c'est signe qu'il est temps d'arrêter d'emprunter, pas de rajouter encore plus d'intérêts dans votre budget.

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Malgré tout, plusieurs autres provinces autorisent le prêt sur salaire, en limitant les frais entre 15 $ et 23 $ par tranche de 100 $ empruntée. Sur deux semaines, cela ne semble pas si élevé. Mais cela équivaut à un taux de 390 % à 598 % sur un an, selon les provinces.

C'est sans compter les frais importants qui sont imposés si le client ne rembourse pas à temps.

Le hic, c'est que de nombreux utilisateurs du prêt sur salaire ne sont pas conscients de ces coûts excessifs, selon une étude menée par l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) en 2016.

En fait, plus de la moitié (57 %) ne savent pas que le prêt sur salaire est plus coûteux qu'une avance de fonds sur la carte de crédit, déjà pas donnée. Pourtant, cela revient 10 fois plus cher !

L'étude démontre aussi que de nombreux emprunteurs retournent régulièrement chez les prêteurs sur salaire, ce qui casse le mythe que cette forme de crédit peut être une solution temporaire acceptable pour aider les gens à se sortir d'une mauvaise passe.

En réalité, trois utilisateurs sur cinq fréquentent les prêteurs sur salaire à répétition : 37 % y sont retournés entre deux et cinq fois sur une période de trois ans, tandis que 23 % y sont allés plus de six fois. Ça fait peur.

Certains diront qu'il est quand même préférable d'encadrer le prêt sur salaire plutôt que de l'interdire complètement, car cela laisse le champ libre aux prêteurs sur gages ou autres bandits du prêt usuraire.

C'est l'opinion émise par le Conference Board du Canada dans une étude publiée en 2016. Ah, mais je dois vous dire que cette étude a été entreprise à la demande de la Canadian Consumer Finance Association... qui représente l'industrie des prêteurs sur salaire.

Personnellement, je crois qu'en laissant ces prêteurs s'annoncer sans gêne à la radio et dans le métro comme on l'a vu à Montréal, on leur permet de se bâtir une crédibilité et une notoriété. Du coup, on crée une demande de la part de consommateurs qui n'auraient jamais répondu à une obscure annonce d'un prêteur véreux.