Chers membres d'Aéroplan, j'espère que vous avez besoin d'un grille-pain. Non ? Alors peut-être d'un bijou de Caroline Néron ou d'une machine à café Nespresso ? Non plus ?

Eh bien, dépêchez-vous de réserver un billet d'avion, car à partir de juin 2020, vos précieux milles ne seront plus échangeables auprès d'Air Canada ou d'un transporteur aérien membre de Star Alliance. Du moins pas aux mêmes conditions.

Air Canada vient d'annoncer qu'il abandonnait le programme de fidélisation qu'il a lui-même mis au monde il y a plus de 30 ans. Ce sera un coup dur pour Aéroplan, même si le programme vole de ses propres ailes depuis 2002.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Air Canada n'est pas tendre avec ses anciens bébés. Souvenez-vous comment le transporteur a donné le coup de grâce à Aveos, division qu'il avait essaimée en 2004. Quelques années plus tard, il lui a retiré le contrat d'entretien de ses appareils, entraînant 1700 mises à pied à Montréal.

Mais revenons à Aéroplan...

Son divorce d'avec Air Canada risque d'être douloureux, car les deux entités demeurent intimement liées. Aimia, la société mère d'Aéroplan, est le plus important client d'Air Canada et Air Canada est le troisième client en importance d'Aimia.

Aéroplan a beau dire que très peu de ses membres sont des voyageurs assidus d'Air Canada, il n'en demeure pas moins que les trois quarts des milles accumulés par les membres d'Aéroplan sont échangés contre des billets d'avion.

Alors la disparition d'Air Canada va faire un grand trou sur leur écran radar.

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Mais les membres d'Aéroplan n'en sont pas à leur première déconvenue. Au fil des ans, les milles Aéroplan ont suscité bien des frustrations chez les consommateurs.

À plusieurs reprises, Aéroplan a revu sa grille d'échange, ce qui a fait « refouler » les milles que les membres avaient déjà accumulés, une pratique détestable qui devrait être bannie.

Il y a 10 ans, Aéroplan s'était attiré les foudres de ses clients en instaurant une politique d'expiration des milles après sept ans. L'entreprise a finalement été obligée de reculer, juste avant la date butoir.

Son concurrent Air Miles qui voulait aussi faire expirer les points accumulés par ses membres, a été forcé de faire marche arrière, l'automne dernier, après avoir soulevé un véritable tollé qui a certainement terni la réputation de l'ensemble des programmes de fidélisation.

Heureusement, l'Ontario a adopté une loi pour interdire l'expiration des points et Québec s'apprête à faire de même.

Finalement, bien des membres d'Aéroplan s'insurgent contre les frais et les surcharges qu'ils doivent verser lorsqu'ils achètent des billets d'avion, ce qui a d'ailleurs fait l'objet d'une demande d'autorisation de recours collectif. En effet, ces frais sont si élevés qu'on peut se demander s'il vaut vraiment la peine d'utiliser des milles pour acheter des billets d'avion.

Avec toute cette grogne contre les grands programmes de fidélisation coalisés, certains commerçants se demandent s'il n'est pas plus avantageux de faire bande à part.

Par exemple, l'épicier Metro, qui a son propre programme au Québec, a laissé entendre qu'il pourrait abandonner Air Miles, avec qui il fait affaire dans le reste du Canada, après la saga de l'automne dernier.

C'est dans cette tendance que s'inscrit Air Canada, qui a l'intention d'élaborer son propre plan pour les voyageurs assidus. Le transporteur a déjà lancé le programme Altitude, en 2013, qui accorde des privilèges comme les services prioritaires à l'aéroport, les eSurclassements pour la Classe affaires, aux grands voyageurs. Ce programme demeure intact.

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Qu'en sera-t-il pour les membres d'Aéroplan ? D'ici trois ans, c'est business as usual. Les membres peuvent continuer d'accumuler des milles Aéroplan quand ils voyagent avec Air Canada. De même, ils peuvent continuer d'échanger leurs milles Aéroplan contre des primes aériennes, y compris les vols d'Air Canada et des transporteurs membres du réseau Star Alliance.

Mais à partir de juin 2020, ce sera une autre histoire, puisqu'Air Canada n'a pas l'intention de reconduire l'entente actuelle. En entrevue hier, les dirigeants d'Aéroplan n'excluaient pas la possibilité d'acheter des lots de sièges d'Air Canada pour pouvoir continuer d'offrir des primes aériennes à ses membres.

Mais il y a fort à parier que les prix seront plus élevés et que les membres devront allonger davantage de milles pour obtenir un billet d'avion. Pour éviter de perdre au change, les voyageurs ont donc avantage à réserver un billet d'ici 2020.

Le hic, c'est que certains membres moins dépensiers ont besoin de plus que trois ans pour accumuler suffisamment de milles pour se payer le billet d'avion dont ils rêvaient.

Autrement, leurs milles ne seront pas perdus. Les clients pourront toujours les échanger contre de la marchandise, des chambres d'hôtel, des locations de voiture, des spectacles, des cartes cadeaux, etc.

Mais ce n'est probablement pas ce qu'ils désiraient lorsqu'ils ont commencé à accumuler des Aéroplan. Beaucoup risquent d'abandonner les cartes de crédit CIBC et TD qui ont acquis 10 % du marché canadien du crédit grâce à leur association avec Aéroplan.

Pourquoi ne pas migrer vers une carte de crédit avec remise en espèces ? Plus simple, plus rapide, moins de déception.

Aéroplan en 10 dates-clés

1984: Air Canada lance son programme de fidélisation pour voyageurs assidus Aéroplan.

1985: Plus de 100 000 membres adhèrent au programme.

1991: CIBC lance la carte de crédit Aéro Or associée au programme de fidélisation d'Air Canada.

2002: Air Canada se départit d'Aéroplan qui devient une entreprise indépendante.

2004: Aéroplan élargit ses récompenses au-delà des billets d'avion.

2005: Aéroplan se lance à la Bourse, récoltant 288 millions dans son premier appel public à l'épargne.

2007: Aéroplan modifie sa politique d'expiration des milles, provoquant un tollé chez ses membres.

2013: Aéroplan revient sur sa décision et annule sa politique d'expiration des points après sept ans.

2014: À l'issue d'une chaude lutte contre CIBC, la Banque TD devient le principal émetteur de cartes de crédit associées à Aéroplan.

2017: Dirigé par la société montréalaise Aimia, Aéroplan compte 5 millions de membres au Canada.