Dans son budget d'hier, le ministre des Finances Carlos Leitão a offert l'équivalent d'une bouteille de champagne à près de 4,3 millions de contribuables québécois. Cinquante-cinq dollars. Voilà l'économie annuelle résultant de la hausse de la somme que les Québécois peuvent gagner à l'abri de l'impôt.

Il n'y a pas de quoi faire la fête, je vous l'accorde. Mais ce cadeau de 295 millions par année est prudent et raisonnable, compte tenu du cycle économique et du profil démographique du Québec.

Si la croissance économique du Québec dépasse celle du Canada et des États-Unis et si le taux de chômage est à un creux historique, il ne faut pas oublier qu'une récession se pointera le nez tôt ou tard. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la population en âge de travailler est en baisse au Québec.

Ainsi, les surplus dégagés par Québec sont davantage cycliques que structurels, considère Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.

Dans ce contexte, la modération a bien meilleur goût. Mais je suis prête à gager une bouteille de champagne que les particuliers auront droit à des bonbons fiscaux beaucoup plus excitants dans le budget de l'an prochain, qui mettra la table pour la campagne électorale.

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Mais revenons à la mesure annoncée hier. Le seuil de revenus sous lequel les particuliers n'ont pas à payer d'impôt grimpera de 14 544 $ à 14 890 $ à partir de 2017. Comme le taux d'imposition est de 16 % à ce niveau, ce relèvement de 346 $ procurera une économie d'impôt de 55 $ à tous les contribuables, y compris les plus riches de la société.

Rien d'extraordinaire, je le sais. Mais ce n'est peut-être qu'un début, comme l'a laissé entendre en conférence de presse le ministre des Finances, parlant de la mesure comme d'un premier pas permettant de «continuer dans cette direction et de l'améliorer».

D'ailleurs, le rapport Godbout qui a analysé le système fiscal du Québec sous toutes ses coutures avait suggéré de relever le seuil à 18 000 $.

Ce serait parfaitement logique, car ce niveau correspondrait à peu de chose près au seuil de faible revenu pour une personne seule, d'après la mesure du panier de la consommation. Et je ne vois pas pourquoi on devrait faire payer des impôts aux travailleurs qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté.

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Évidemment, la hausse de cette exemption de base fera grimper la proportion de Québécois qui ne paient aucun impôt au Québec, un chiffre qui donne de l'urticaire à bien des contribuables.

Mais avant de crier au loup, il faut comprendre que les gens qui ne paient pas d'impôt sont très souvent des jeunes qui ont un boulot d'été ou des aînés qui se débrouillent tant bien que mal avec les prestations de l'État.

Quand on se concentre sur la population de 20 à 64 ans seulement, on constate que le tiers des Québécois ne paient pas d'impôt (33%), une proportion qui reste inférieure à celle observée dans les autres provinces (36%).

Mais les impôts grimpent très vite au Québec, où le fardeau fiscal des particuliers est un des plus lourds de l'OCDE.

Chez nous, un célibataire qui gagne des revenus de 50 000 $ verse 10 170 $ par année en impôts combinés fédéral/provincial, a calculé Stéphane Leblanc, fiscaliste associé chez EY, en tenant compte des économies annoncées hier, soit le relèvement du montant de base et la suppression «rétroactive» de la taxe santé qui permettra de récupérer jusqu'à 175 $ par personne.

C'est presque 2000 $ de plus qu'en Ontario et en Alberta. Sur des revenus de 80 000 $, l'écart atteint presque 4000 $ avec nos voisins ontariens et plus de 5000 $ avec nos amis de la Colombie-Britannique.

Mais attendez un peu avant de déménager! Si les Québécois paient davantage d'impôts, n'oubliez pas qu'ils reçoivent aussi des services qui font l'envie des résidants des autres provinces (services de garde subventionnés, éducation postsecondaire à prix inférieur, etc.).

Il y a toujours deux côtés à une médaille.

Le fisc aux petites créances

Bonne nouvelle pour les contribuables qui ont maille à partir avec le fisc. Désormais, les petites entreprises de 10 employés et moins pourront contester une cotisation allant jusqu'à 15 000 $ devant la Cour des petites créances. Pour les particuliers, le seuil sera relevé de 4000 $ à 15 000 $.

Les contribuables auront donc la possibilité de se défendre eux-mêmes, gratuitement, plutôt que d'abandonner leur cause parce que les frais élevés d'un avocat fiscaliste ne justifient pas d'aller devant les tribunaux pour une petite somme.

Toutefois, la bataille ne sera pas à armes égales aux petites créances. Les contribuables risquent fort de se retrouver face à un représentant du fisc bien mieux outillé qu'eux.

Le budget évoque la possibilité de diriger les parties vers un mode de résolution de conflit alternatif. Mais cela reste flou. Pourquoi ne pas mettre en place un véritable service de médiation fiscale, comme certains groupes le réclament depuis des années?