Il y a une belle hypocrisie dans le discours actuel entourant le report de l'âge de la retraite.

Au nom de la croissance économique, les entreprises et les gouvernements prêchent ces jours-ci pour que les travailleurs bossent jusqu'à 67 ans. Mais comme employeurs, ils sont les premiers à lever le nez sur les employés âgés.

En public, ils vous diront que la main-d'oeuvre est leur actif le plus précieux, qu'ils favorisent le mentorat, le transfert de connaissances, et bla, bla, bla... Mais quand il s'agit de rationaliser, c'est drôle comme ces belles valeurs prennent vite le bord.

Une restructuration, et hop, les employés de 55 ans et plus, ceux qui ont justement des salaires plus élevés, passent à la trappe. Bienvenue à l'ère des employés jetables !

Pourtant, le maintien en emploi des travailleurs expérimentés est un défi majeur avec le déclin de la population active. Il en sera d'ailleurs question lors du Rendez-vous national sur la main-d'oeuvre qui débute à Québec, aujourd'hui.

Le ministre des Finances Carlos Leitão a déjà indiqué qu'il voulait s'attaquer à ce problème dans le prochain budget. Et la semaine dernière, Ottawa a accueilli favorablement le rapport du Conseil consultatif en matière de croissance économique qui recommandait notamment de relever l'âge d'admissibilité à la pension de la sécurité de vieillesse (PSV), présentement fixé à 65 ans.

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Je suis bien d'accord pour encourager les gens à travailler plus longtemps. Mais pas en relevant l'âge de la PSV, comme les conservateurs avaient voulu le faire en 2012. Soit dit en passant, c'est le même gouvernement qui accordait des rentes sans pénalité pour encourager ses fonctionnaires de 55 ans et plus à prendre le large dans le cadre d'une vague d'abolitions de postes. Bel exemple de double discours !

Repousser l'âge d'admissibilité à la PSV ne changerait pas grand-chose pour les travailleurs qui se font montrer la porte. Une telle mesure ne ferait qu'accentuer les iniquités entre les riches et les pauvres, qui vivent déjà sept ans de moins.

Et de toute façon, le report de la retraite est amorcé depuis longtemps au Canada. Ce mouvement se poursuivra naturellement au fur et à mesure que les immigrés formeront une proportion importante des retraités, car ils ne sont pas aussi bien préparés pour la retraite.

Alors au lieu de tordre le bras des employés, on devrait plutôt encourager les employeurs à changer de mentalité.

Les départs à la retraite involontaires, dus à la maladie ou à une perte d'emploi, réduisent d'environ deux ans l'âge de la retraite au Canada, indique Yves Carrière, professeur de démographie à l'Université de Montréal.

Si on éliminait ces départs forcés, on en ferait du chemin !

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Mais les entreprises ont encore bien des préjugés face aux travailleurs plus âgés. Marc Melanson peut en témoigner. Vice-président d'une grande entreprise, il a perdu son emploi à 58 ans lorsque la filiale a été vendue à une société américaine.

En pleine forme, motivé à pousser sa carrière plus loin, il a cherché et cherché encore. On lui répondait toujours : « Oui, t'as un beau profil, de belles réalisations, mais on regarde des plus jeunes. On veut aller vers la nouvelle génération », raconte-t-il.

« Je respecte ça : ça prend des jeunes aussi. Mais il y a des choses qu'on peut apporter. Sauf que notre expérience n'est pas reconnue », dit-il.

Après quatre ans de démarches, M. Melanson a réalisé qu'il était dans un cul-de-sac. Il a baissé les bras en se disant : « Je ne me rendrai pas malade. Je vais arrêter ça et profiter de la vie. » Retraité pleinement assumé, il est maintenant trop heureux de profiter de la neige toute fraîche sur les pistes de ski.

Qu'est-ce que le gouvernement aurait pu faire pour l'encourager à reporter sa retraite ?

Offrir des crédits d'impôt pour travailleurs expérimentés ? « Pas du tout ! J'étais même prêt à absorber une baisse de salaire », dit M. Melanson, qui a postulé pour des postes inférieurs. Mais les employeurs avaient peur d'engager un travailleur trop expérimenté.

Curieusement, son expérience était un handicap plutôt qu'un atout.

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Pour garder les employés plus longtemps au boulot, il faudrait surtout leur offrir des mesures pour améliorer leur qualité de vie au travail et leur santé.

« Il est vrai de dire que les gens peuvent travailler plus longtemps, car le travail est moins physique qu'auparavant. Mais il y a des problèmes de santé liés au travail d'ordre psychologique à cause du rythme, des compressions, du fait qu'on en demande toujours plus », explique M. Carrière.

Parlez-en à Sylvie Tremblay. La gestionnaire en avait ras le pompon d'être dans l'avion toutes les deux semaines. À 56 ans, elle est descendue pour la dernière fois de son vol Toronto-Ottawa et elle a pris sa retraite, malgré des sacrifices financiers importants.

« Les six premiers mois, j'étais comme un zombie ! », s'exclame-t-elle. Mais après s'être remise en forme, elle est retournée sur le marché du travail. Toujours dans le domaine de l'assurance, mais dans un poste inférieur. Seulement trois jours par semaine. De la maison. Aucun déplacement. Le bonheur !

« Je touche du bois pour que ça dure le plus longtemps possible ! », lance maintenant la dame qui espère se rendre au moins jusqu'à 65 ans.

Comme quoi la flexibilité et la possibilité de ralentir font toute la différence. Mais dans les entreprises, les employés qui veulent baisser la cadence risquent fort de se retrouver carrément à la porte.