N'allez pas croire que le nouveau tour de vis hypothécaire d'Ottawa vise strictement les étrangers qui paient un prix de fou pour une maison à Vancouver. Les mesures annoncées lundi auront un impact sur tous ceux qui tirent un peu trop sur l'élastique du crédit, d'un océan à l'autre.

Les nouvelles règles qui entreront en vigueur d'ici novembre dégonfleront la capacité d'achat des jeunes familles qui veulent acheter une première maison et des propriétaires prêts à réhypothéquer leur résidence pour consolider leurs dettes ou faire des rénovations.

Remarquez, ce sont surtout les ménages dont les finances sont sur la corde raide qui sentiront la différence, ce qui n'est pas une mauvaise chose.

En resserrant les règles du jeu, Ottawa veut les protéger contre eux-mêmes, les empêcher de se mettre la corde au cou en achetant une maison trop chère et, surtout, s'assurer qu'ils seront capables d'absorber le choc si les taux d'intérêt remontent.

Voyons ça de plus près.

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Pour calmer l'immobilier, Ottawa modifie les règles de l'assurance hypothécaire que les acheteurs de maison doivent se procurer quand leur mise de fonds est inférieure à 20 % du prix de la maison.

Pour obtenir cette assurance, les engagements de l'acheteur (paiement hypothécaire, remboursement des autres dettes et dépenses relatives à la maison) ne doivent pas dépasser 44 % de son revenu.

Pour calculer ce fameux ratio, le prêteur devra maintenant utiliser un taux d'intérêt de 4,64 %, même s'il accorde un taux d'intérêt beaucoup plus bas à son client (ex. : 2,39 % en ce moment pour un prêt de 5 ans fermé).

Cette mesure s'appliquait déjà pour les hypothèques à taux variable et pour les prêts de 4 ans et moins. Désormais, elle visera aussi les prêts de 5 ans et plus, qui constituent l'option la plus populaire pour les premiers acheteurs, et de loin.

Prenez un couple qui voudrait s'étirer au maximum en achetant une maison de 350 000 $ avec une mise de fonds de 5 %. L'hypothèque de 332 500 $ amortie sur 25 ans lui coûterait 1471 $ par mois avec un taux de 2,39 %, calcule Denis Doucet, porte-parole de Multi-Prêts.

Mais à partir du 17 octobre prochain, le prêteur devra utiliser un taux de 4,64 % pour établir la mensualité maximale. Cela fait en sorte que le couple devra se contenter d'une maison de seulement 262 000 $. Ou bien sortir 88 000 $ de plus de ses poches.

On le voit, les premiers acheteurs devront acheter plus petit ou rester à loyer plus longtemps pour accumuler une mise de fonds plus importante.

Les parents qui veulent racheter la part de leur ex-conjoint après une séparation risquent aussi d'être coincés par les nouvelles règles, souligne M. Doucet. Un salaire au lieu de deux, ça complique déjà les calculs. Avec le taux de qualification plus élevé, certains seront obligés de vendre au lieu de garder la maison pour les enfants.

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Les acheteurs qui ont plus de 20 % de mise de fonds seront aussi visés par les changements, même s'ils n'ont pas besoin de payer l'assurance hypothécaire. C'est que les banques contractent souvent elles-mêmes de l'assurance pour faciliter la titrisation, c'est-à-dire la revente de blocs de prêts hypothécaires.

Dès la fin de novembre, Ottawa imposera les mêmes règles à ses prêts moins risqués, notamment le taux de qualification de 4,64 %. Ce changement pourrait donc entraver les propriétaires qui désirent refinancer leur hypothèque pour consolider leurs dettes ou faire des rénovations.

Il pourrait aussi freiner les personnes âgées qui sont de plus en plus nombreuses à utiliser leur maison comme un guichet automatique. Avec les nouvelles règles, elles auront plus de mal à réhypothéquer leur maison, surtout si leurs revenus de retraite sont faibles.

Prenons l'exemple d'une maison de 350 000 $. En ce moment, un propriétaire pourrait réemprunter jusqu'à 280 000 $, soit 80 % de la valeur de la maison. Mais si ses finances étaient déjà étirées au maximum, il ne pourrait pas aller plus loin que 220 000 $ avec les futures règles. C'est 60 000 $ de moins, calcule M. Doucet.

Bien sûr, les banques qui veulent quand même lui prêter de l'argent pourraient encore le faire, mais à leurs propres risques. Pas en refilant la patate chaude aux contribuables, par le truchement du programme d'assurance hypothécaire.

Il y a fort à parier qu'elles exigeront alors un taux d'intérêt plus élevé.

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Espérons qu'en tentant de prévenir l'explosion de la bulle immobilière à Vancouver et à Toronto, ce qui est très louable, Ottawa ne provoquera pas une déconfiture dans les autres villes où l'immobilier est revenu sur terre depuis un bon quatre ans.

Pas facile d'établir des règles nationales quand le marché immobilier roule à deux vitesses au Canada. Pleins gaz à Vancouver et à Toronto où les prix ont grimpé de 26 % et 15 % respectivement depuis un an. Au neutre à Montréal (+ 0,6 %) et à Ottawa-Gatineau (+ 1 %). Et même en marche arrière dans d'autres villes, comme Québec (- 3 %) et Calgary (- 4 %).

Le nouveau tour de vis arrive donc à un moment délicat. Plusieurs économistes sont sur le qui-vive.

« J'ai peur que le ralentissement de l'immobilier ne soit plus prononcé que ce que le gouvernement vise, ce qui nuira certainement à l'emploi et à la croissance. » - Sherry Cooper, de Dominion Lending Centres

« Ces changements auront des répercussions pas seulement à Vancouver et Toronto, mais à travers le Canada », prévient Robert Hogue, de la Banque Royale.

À preuve, l'un des trois assureurs hypothécaires au pays, Genworth Canada, estime que plus du tiers des prêts accordés depuis le début de l'année auraient eu du mal à respecter les nouveaux critères.

Mais Desjardins estime que les effets pourraient être moins grands au Québec, puisque les ménages y sont moins endettés qu'ailleurs au pays.

Croisons les doigts.

Infographie La Presse