Feriez-vous confiance à un arbitre qui ne peut pas forcer les joueurs à s'asseoir sur le banc des pénalités ? Un arbitre qui est obligé de négocier la pénalité avec les équipes qui viennent de faire un mauvais coup ?

Non ? Alors vous serez d'accord avec moi qu'il faut accorder plus de pouvoir à l'Ombudsman des services bancaires et d'investissement (OSBI). Autrement, il n'arrivera jamais à se faire respecter.

L'OSBI se veut une solution rapide, gratuite et impartiale pour aider les épargnants qui ont maille à partir avec une banque ou un courtier. L'organisme a été créé il y a 20 ans par l'industrie financière qui voulait éviter à tout prix que le gouvernement lui impose un ombudsman étatique.

Or, l'OSBI manque de dents, comme l'a fait ressortir un rapport indépendant remis, lundi dernier, aux autorités réglementaires canadiennes par Deborah Bettell, ancienne patronne de l'Ombudsman de la Nouvelle-Zélande.

Le problème, on le sait depuis longtemps, c'est que l'OSBI n'a pas le pouvoir d'obliger les firmes à respecter ses décisions, contrairement aux ombudsmans de plusieurs autres pays, comme le Royaume-Uni ou l'Australie.

Par conséquent, les institutions financières ne prennent pas les décisions de l'OSBI assez au sérieux. L'an dernier, près d'un plaignant sur cinq (18 %) n'a pas reçu un dédommagement aussi élevé que celui que l'OSBI avait recommandé. Pire, 3,5 % des consommateurs n'ont rien obtenu du tout, la firme ayant rejeté de A à Z la décision de l'OSBI.

En moyenne, ces victimes ont obtenu 41 927 $ de moins que ce qui aurait constitué une juste réparation. Certains cas sont à fendre le coeur.

Par exemple, une personne à faible revenu s'est retrouvée avec une montagne de dettes après s'être fait prendre à investir 200 000 $ de la valeur de sa maison dans un placement spéculatif. L'OSBI avait recommandé un dédommagement de 100 000 $, mais la firme a accepté de lui verser moins que 50 000 $. Quelle honte !

Même s'ils ne sont pas satisfaits, les épargnants lésés n'ont pas le choix d'accepter un règlement au rabais, parce qu'ils n'ont pas l'argent, l'énergie et la patience pour aller devant les tribunaux.

« Le montant que j'ai obtenu était 10 000 $ de moins que la recommandation de l'OSBI, explique une victime. Mais je n'avais pas les moyens de payer un avocat pour me battre en cour afin d'obtenir le plein montant. »

Voilà un sévère constat d'échec pour l'Ombudsman, dont le rôle devrait justement être de rétablir l'équité entre les petits consommateurs et les puissantes institutions financières.

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Pour tordre le bras d'une firme récalcitrante, l'OSBI a le pouvoir de la dénoncer sur la place publique. Mais cette arme de dernier recours ne marche plus, car l'OSBI l'a utilisée trop souvent dernièrement. Quand les cas s'accumulent, le public et les médias se désintéressent. L'impact diminue.

Ainsi, la menace d'une dénonciation est devenue inefficace. À preuve : l'an dernier, six firmes ont refusé de payer, même si l'OSBI a publié les noms de 18 entreprises récalcitrantes depuis cinq ans.

Tout cela a même été contre-productif. Avec cette vague de dénonciations, l'OSBI a fait la triste démonstration de son inefficacité à répétition. La confiance du public envers l'industrie a été altérée. Et les clients n'ont pas reçu un cent de plus.

Cette vague de dénonciations a eu un autre effet insidieux et inattendu. Voyant que l'OSBI n'arrive pas à faire appliquer ses décisions, plusieurs firmes négocient avec l'Ombudsman en lui soumettant des offres de règlement à la baisse.

L'OSBI perd donc beaucoup de temps à discuter avec les institutions financières qui ont compris qu'elles ont le gros bout du bâton. Cela allonge les délais de règlement, dont l'industrie se plaint justement. Mais surtout, le système actuel place les consommateurs dans une situation de faiblesse, ce qui est contraire à l'objectif d'un ombudsman, indique le rapport.

« Dans les faits, les firmes sont favorisées. Il est préoccupant de constater qu'une telle situation a cours dans une industrie complexe où les répercussions sur le bien-être des gens sont importantes et dans laquelle le taux de littératie financière est généralement faible », affirme Deborah Bettell.

Et dire que l'industrie n'arrête pas de se plaindre que l'OSBI est biaisé en faveur des consommateurs ! Certaines institutions ressassent encore les mêmes récriminations non fondées à propos de la méthode de calcul des pertes utilisée par l'OSBI.

Toutes les pressions exercées par l'industrie font en sorte que le modèle de l'OSBI est « intrinsèquement inefficace », dit le rapport qui plaide pour que l'OSBI devienne un véritable ombudsman. Pour cela, il faudrait lui donner le pouvoir de rendre des décisions exécutoires, si le client l'accepte.

Évidemment, l'industrie est contre. Elle ne veut pas que l'OSBI devienne un tribunal, surtout s'il n'y a pas de processus d'appel indépendant. Remarquez, il serait possible d'inclure un processus de révision interne, comme cela se fait dans plusieurs pays où les décisions de l'Ombudsman sont exécutoires.

Mais en permettant un appel en bonne et due forme, on irait à l'encontre du principe même de l'ombudsman dont l'objectif est de fournir une réponse rapide et à bas coût.

Photo François Roy, archives La Presse

L’an dernier, près d’un plaignant sur cinq (18 %) n’a pas reçu un dédommagement aussi élevé que ce que l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement avait recommandé.