Je vous ai déjà parlé de la guerre des prix qui ronge les notaires. Dans l'immobilier résidentiel, certains notaires qui bouclent une transaction pour seulement 850 $ drainent l'ensemble de la profession vers le bas.

Et la qualité du service dans tout ça ? Les notaires à rabais tournent-ils les coins ronds ? L'an dernier, la Chambre des notaires du Québec m'avait répondu que le phénomène ne posait pas de problème pour la protection du public.

Mais on dirait que la Chambre est en train de changer son fusil d'épaule.

L'ordre professionnel mène une offensive pour faire fermer des sites web qui permettent aux consommateurs de trouver un notaire et de comparer les prix aisément. De plus, le conseil de discipline de la Chambre vient de radier provisionnement un jeune notaire spécialisé dans les transactions à bas prix.

Cette mesure proactive exceptionnelle permet d'écarter un notaire lorsque la protection du public est en jeu, avant même qu'une décision finale soit rendue. C'est vous dire le sérieux de l'affaire.

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En fait, Jean-Manuel Estrela aurait commis, à très grande échelle, des infractions touchant pratiquement tous les aspects de la pratique notariale. Malgré mes efforts, je n'ai pas réussi à entrer en contact avec lui. Mais voici ce qui ressort de la décision du comité de discipline rendue en mars dernier.

Dès le début de sa pratique, en 2013, M. Estrela décide d'offrir des services à bas prix. Son cabinet devient une « usine de production d'actes notariés à rabais ». Le notaire affirme avoir réalisé plus de 6000 actes notariés, alors qu'il a moins de trois ans d'expérience.

Imaginez un peu : cela fait 2000 dossiers par année, soit environ 40 par semaine. On peut donc déduire que M. Estrela consacre à peine une heure par dossier, ce qui est très, très loin du notaire normalement constitué qui passe une quinzaine d'heures sur un dossier et réalise environ 300 transactions par an, dans le meilleur des cas.

Pour gérer un tel volume de travail, M. Estrala développe une méthode bien à lui : il divise toutes les opérations du travail de notaire et délègue des tâches qui lui sont pourtant réservées. Après seulement un an et demi en affaire, il a déjà neuf employés.

Alors qu'il a le devoir de conseiller juridiquement les parties, il ne se préoccupe pas de rencontrer ses clients, ni d'assurer et de vérifier la conformité des actes. Il semble se soucier davantage de ses revenus, constate la Chambre.

Sachant qu'il fait l'objet d'une enquête, le notaire multiplie les accrocs à la profession : actes signés sans sa présence, modification d'actes après la signature des parties, utilisation de fonds à d'autres fins que celles mentionnées par le client, manque de collaboration avec le syndic.

Voilà qui donne froid dans le dos ! On se réjouit que la Chambre soit intervenue. Même si plusieurs notaires à bas prix respectent les règles de l'art, cette histoire lève un drapeau jaune sur les conséquences de la guerre des prix.

Un notaire qui facture 850 $ tout inclus n'empoche pas plus que 475 $ d'honoraires, après frais et taxes (cinq fois moins qu'il y a 30 ans, avant l'abolition du tarif obligatoire). Cela ne lui laisse pas grand-chose dans ses poches après avoir payé son assurance responsabilité, son adjointe et son bureau.

Pour arriver, le notaire doit faire du volume. Et quand on fait du volume, les risques de bourde augmentent.

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Dans la même veine, la Chambre des notaires vient de s'attaquer à Soumissionsnotaires.ca qui a déjà annoncé sa fermeture, ainsi qu'à Notaireparcourriel.com. Ces sites web permettent aux consommateurs de recevoir des soumissions de la part de quelques notaires dans leur secteur, en remplissant une seule demande en ligne.

La Chambre argue que ces sites n'ont pas le droit d'utiliser le mot « notaire », une marque officielle appartenant à la Chambre. Elle prétend que les internautes pourraient croire qu'ils font affaire avec la Chambre ou avec un notaire, même si les sites expliquent clairement qu'ils jouent un rôle d'intermédiaire.

Bien des notaires en veulent à ces sites, jugeant qu'ils alimentent la guerre des prix dans leur profession. Mais pour avoir fait l'exercice, je peux dire que ce n'est pas nécessairement le cas. Pour une transaction classique (achat et financement), un notaire m'a offert 990 $ tous compris, l'autre m'a soumis un prix de 1287 $.

En passant, le service ne coûte rien au consommateur. C'est le notaire qui paie environ 20 $ chaque fois qu'il envoie une soumission à un client potentiel. Une forme de publicité comme une autre.

À l'ère de l'internet, des outils de ce genre existent dans une foule de domaines et permettent de comparer les avocats, les comptables, les dentistes. Nous sommes en 2016. On ne reviendra pas en arrière. Impossible de remettre le génie dans la bouteille.

Si les notaires veulent stopper la guerre des prix, ces sites web sont-ils vraiment la bonne cible ?

Les constructeurs qui obligent les clients à faire affaire avec leur notaire mettent certainement bien plus de pression sur les prix.

Et les banques qui forcent leurs clients à accepter leurs actes hypothécaires tels quels dévalorisent la profession de notaire. Quand il n'y a pas moyen de changer une virgule dans le contrat, ne vous demandez pas pourquoi les clients voient le passage chez le notaire comme une pure formalité.

Pour remettre le notaire à l'avant-scène, il faudrait qu'il puisse agir en amont. Pas quand tout est ficelé et que le camion de déménagement est à la porte. Il faudrait que la transaction immobilière soit une porte d'entrée pour offrir des services qui font tellement défaut aux familles : un contrat de vie commune, un testament, un mandat en cas d'inaptitude.