C'est drôle de voir que certains projets de loi avancent plus vite que d'autres. Par exemple, la réforme de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) en matière de crédit à la consommation, qui poireaute depuis quatre ans et demi à l'Assemblée nationale, donne l'impression que la modernisation de la LPC est un processus long et complexe.

C'est vrai qu'il ne faut pas brûler les étapes, mais j'ai très hâte que les consommateurs soient mieux protégés sur un enjeu aussi criant et répandu que le surendettement.

Apparemment, Québec est plus pressé de bannir les sites internet de jeux en ligne privés. Le gouvernement s'apprête à changer en deux temps trois mouvements un pan complet de la LPC avec le projet de loi omnibus 74 qui faisait l'objet de discussions cette semaine.

Où est l'urgence? C'est qu'en agissant ainsi, le gouvernement protège non seulement les joueurs, mais aussi les revenus de Loto-Québec, qui perd des millions chaque année à cause de la concurrence de ces sites illégaux. Évidemment, cela mine les recettes de l'État.

Or, plusieurs experts considèrent que Québec prend un raccourci pour régler son problème. Cette semaine, l'Union des consommateurs, qui est très loin d'être un allié naturel des casinos virtuels, a pourtant signé une virulente lettre d'opinion pour dénoncer le projet qui mettrait en péril la « neutralité du web ».

Il faut savoir que Québec veut forcer les fournisseurs internet à bloquer les sites privés de jeux en ligne, sous peine de se voir imposer de lourdes pénalités. D'accord, on est loin du puissant système de censure de la Chine qui bloque allègrement les sites web des entreprises étrangères.

N'empêche que l'initiative de Québec crée un dangereux précédent, a déjà affirmé le spécialiste du droit des télécommunications, Michael Geist, professeur à l'Université d'Ottawa.

Pourquoi en est-on arrivé là ? En 2010, Loto-Québec a lancé son site de jeux en ligne Espacejeux afin de rapatrier les quelque 90 000 Québécois qui fréquentaient plus de 2000 casinos virtuels illégaux.

La province voulait ainsi s'assurer que les joueurs auraient accès à un site web légal, sûr et doté de pratiques de jeu responsables (auto-exclusion, limite de dépôt, etc.).

Mais peu de choses ont changé. Même si les revenus d'Espacejeux ont grimpé d'environ 30% depuis deux ans, à 32 millions de dollars, le site n'occupe que 20% du marché, avec quelque 16 000 clients par année.

La plupart des joueurs préfèrent encore les sites privés où ils fraient avec un large bassin de joueurs internationaux, alors que le site de Loto-Québec est confiné aux frontières du pays par le Code criminel.

Tout cela fait perdre des revenus importants à Loto-Québec, qui espère récupérer 27 millions en 2017-2018 avec sa nouvelle stratégie.

En vertu du projet de loi, Loto-Québec pourrait bientôt former des partenariats avec certains exploitants privés qui offriraient leurs jeux par l'entremise de la plateforme d'Espacejeux. Après s'être inscrits sur Espacejeux, les internautes pourraient se rendre sur des sites privés qui respecteraient les règles de sécurité et de jeu responsable.

Pour forcer la main des joueurs, tous les sites illégaux seraient bannis. Mais sont-ils vraiment illégaux?

En vertu du Code criminel, seules les provinces peuvent mettre sur pied et exploiter un jeu de hasard en ligne. Tous les autres exploitants canadiens commettent un acte criminel passible de deux ans de prison. 

Mais la loi est ambiguë pour les exploitants établis à l'étranger. Évidemment, Loto-Québec considère qu'ils agissent dans l'illégalité lorsqu'ils acceptent des clients québécois. Mais d'autres juristes affirment le contraire.

L'idéal serait donc de clarifier le statut légal de l'offre de jeu en ligne extraterritoriale dans le Code criminel, comme l'ont déjà suggéré certains sénateurs.

Mais même si les sites étrangers étaient clairement illégaux, comment feraient les policiers pour épingler les exploitants hébergés à l'île de Man, à Gibraltar... ou dans la réserve de Kahnawake?

Pas si simple...

À la place, Québec demande aux fournisseurs d'accès internet de faire le boulot en bloquant les concurrents de Loto-Québec.

En 2014, le Groupe de travail sur le jeu en ligne estimait pourtant que l'envoi de mise en demeure serait une méthode peu coûteuse et relativement efficace qui serait suffisante pour convaincre un grand nombre de fournisseurs d'empêcher les Québécois de fréquenter leur site web.

En comparaison, le blocage de sites web est une solution qui coûtera des millions de dollars aux fournisseurs web, prévient l'industrie.

Les coûts seront considérables pour les fournisseurs locaux, en raison de leur plus petite taille.

Quant aux fournisseurs nationaux, ils feront face à un défi technique qui exigera des investissements importants, indique l'Association canadienne des télécommunications sans fil. En effet, ceux-ci devront bannir les sites pour leurs utilisateurs québécois, mais pas pour ceux du reste du Canada.

Cela pose un défi particulier auquel n'ont pas eu à faire face d'autres pays qui ont imposé des mesures de filtrage semblables.

Mais il y a plus. L'industrie des télécoms a peur d'être prise entre deux feux. D'un côté, Québec veut leur imposer le blocage de sites internet, mais, de l'autre, l'article 36 de la Loi sur les télécommunications leur interdit de régir ou influencer le contenu.

Qui aura le dernier mot? Il y a fort à parier que le projet de loi débouchera sur une guerre de juridictions et sur des contestations devant les tribunaux.