J'ai beaucoup de sympathie pour les petites familles qui viennent de se saigner à blanc afin d'acheter leur première maison. Nombreux sont ceux qui ont dû étirer au maximum leur hypothèque pour accéder à la propriété.

Une étude de l'Institut C.D. Howe, publiée ce matin, démontre qu'un segment important des ménages canadiens a pris de grands risques financiers.

Mais ont-ils vraiment eu le choix? Depuis 15 ans, les prix de l'immobilier ont crû beaucoup plus vite que les revenus des ménages. Il n'est donc pas étonnant que les dettes hypothécaires des Canadiens aient grimpé de 7,3% par année en moyenne, presque deux fois plus que leurs revenus disponibles (après impôts), qui ont augmenté de seulement 4,3%.

À force de tirer sur l'élastique, bien des ménages se retrouvent dans une situation hasardeuse.

La proportion des ménages dont l'hypothèque sur la résidence principale représente plus de 500% du revenu disponible, un seuil jugé critique, a pratiquement quadruplé depuis une douzaine d'années, passant de seulement 3% en 1999 à 11% en 2012. Heureusement, c'est mieux au Québec.

Pour vous donner une idée, le revenu disponible médian des ménages canadiens se situait à 75 000$ en 2012. Avec de tels revenus, les ménages hautement endettés avaient une hypothèque de plus de 370 000$.

Évidemment, ils ne sont pas légion. Mais un sur dix, ça représente tout de même un demi-million de familles. Assez pour que le gouvernement s'en préoccupe.

Ce sont surtout les jeunes ménages et ceux à faibles revenus qui se trouvent sur la corde raide. Ils ont réussi à acheter une maison grâce à la faiblesse des taux d'intérêt. Mais leur dette est colossale.

«Il y a un effet intergénérationnel remarquable», indique l'auteur de l'étude, l'économiste Craig Alexander, vice-président de C.D. Howe. «Les jeunes acheteurs ont gonflé les prix des maisons et les actifs immobiliers des propriétaires plus âgés. Mais ils l'ont fait en s'endettant.»

Certains diront que ce lourd endettement n'est pas si grave, car les actifs des Canadiens ont aussi augmenté. S'ils sont plus endettés, les Canadiens sont aussi plus riches. Cela est vrai. Mais en cas de pépin financier, les familles n'ont pas nécessairement accès à cette richesse qui est largement constituée de leur résidence principale ou de leur régime de retraite.

Quand on soustrait ces actifs, on réalise qu'un grand nombre de propriétaires qui ont une hypothèque n'ont pratiquement pas de coussin financier. En fait, un ménage sur cinq ne dispose pas de 5000$ «d'actifs flexibles». Et un sur dix n'a même pas 1500$ d'épargne pour faire face à un imprévu, constate C.D. Howe.

C'est vraiment trop peu quand on sait que le versement hypothécaire moyen s'élève à plus de 1000$ par mois au Canada.

Imaginez si les taux hypothécaires remontaient, si le marché du travail se détériorait. Ces ménages ne tiendraient pas trois mois! Certains seraient forcés de vendre leur maison ou de réduire considérablement leurs dépenses de consommation.

Rien de bon pour l'économie.

Pour calmer le jeu, Ottawa pourrait resserrer à nouveau les règles entourant le crédit hypothécaire. Mais cette fois, il doit y aller de façon chirurgicale, car l'immobilier roule à deux vitesses au Canada. Pleins gaz à Toronto et Vancouver. Au neutre dans le reste du Canada.

Après avoir doublé en 10 ans, le marché fait du surplace à Québec et à Montréal depuis le début de 2013. L'immobilier digère son ascension, ce qui est très sain. Mais depuis trois ans, l'escalade se poursuit de plus belle à Toronto (24%) et Vancouver (22%), selon l'indice Teranet Banque Nationale.

Alors, comment freiner l'immobilier sans provoquer la chute des marchés qui sont déjà stables? Comment agir sans restreindre encore plus l'accès à la propriété pour les jeunes?

Chose certaine, il faut éviter les mesures à l'emporte-pièce et privilégier des méthodes plus ciblées. Des idées?

Relever le pointage de crédit nécessaire pour l'obtention d'une hypothèque.

Resserrer les ratios d'endettement maximum utilisés par les banques avant d'accorder un prêt.

Forcer les prêteurs à faire les calculs avec un taux d'intérêt plus élevé pour s'assurer que l'emprunteur peut absorber une augmentation.

Certains proposent aussi d'augmenter la mise de fonds minimale sur les hypothèques plus élevées pour freiner la hausse des prix dans les marchés plus coûteux. Oui, mais l'ascension des prix ne se limite pas aux maisons les plus chères.

D'autres sont tentés d'imposer une taxe additionnelle sur le prix d'achat d'une deuxième propriété pour freiner les spéculateurs étrangers, comme le Royaume-Uni vient de l'annoncer. Mais au Canada, ce phénomène reste mal documenté et les études dont on dispose indiquent que le problème est plus limité qu'on ne le pense. Moins de 5% des copropriétés sont détenues par des résidents étrangers, selon la SCHL.

Une autre mesure britannique serait peut-être plus appropriée au Canada. En 2014, la Banque d'Angleterre a imposé des limites aux prêteurs hypothécaires. Désormais, les prêts à des gens très endettés (ceux dont l'hypothèque excède 4,5 fois les revenus) ne peuvent pas représenter plus de 15% de leurs nouveaux prêts résidentiels.

Cette mesure visait spécifiquement Londres, où 19% des hypothèques dépassaient cette limite, comparativement à seulement 9% à l'échelle du pays, explique M. Alexander.

Cette façon de s'attaquer aux marchés à risque pourrait être importée au Canada.