C'est peut-être parce que ma seule expérience du Vendredi fou a été déplaisante, mais je comprends mal pourquoi les Canadiens embarquent comme des moutons dans cette frénétique journée du magasinage made in USA.

Il y a deux ans, le géant américain Target, qui venait d'ouvrir ses premiers magasins au Québec, annonçait des iPad à prix fracassants. Comme ces charmants bidules sont rarement en solde, j'ai tordu mon horaire de travail pour me rendre chez Target ce fameux vendredi matin.

Après avoir cherché en vain la tablette électronique, j'ai dû me résoudre à déranger un commis qui m'a regardée comme si j'arrivais d'une autre planète.

«Ben voyons! Les tablettes sont toutes parties depuis longtemps.»

Pour avoir droit au solde, j'imagine qu'il aurait fallu que je fasse la file à la porte avant l'ouverture du magasin et que je coure jusqu'aux produits électroniques pour attraper une tablette en solde avant les autres clients.

Pas trop mon genre.

Moi qui pensais que les consommateurs étaient protégés contre ce genre de tactiques publicitaires déloyales.

En effet, les commerçants qui annoncent un produit en solde doivent en avoir en quantité suffisante pour répondre à la demande, stipule la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Et quand les quantités sont limitées, la publicité doit préciser la quantité exacte en stock. Une mention générale comme «quantité limitée» ou «jusqu'à épuisement des stocks» ne suffit pas, précise l'Office de la protection du consommateur (OPC).

Si aucune quantité n'est précisée et qu'il ne reste plus de produit sur les rayons durant la période de solde, les consommateurs peuvent exiger que le commerçant leur vende un produit équivalent ou supérieur au prix soldé. Certains commerçants remettent un coupon d'achat différé qui permet d'acheter l'article plus tard au prix en solde, indique aussi l'OPC.

Justement, le commis de Target m'a offert de commander un iPad au prix soldé.

«Mais vous ne le recevrez pas avant Noël», m'a-t-il averti, sachant trop bien que les consommateurs qui magasinent durant le temps des Fêtes ont besoin de cadeaux pour mettre sous leur sapin.

Beau tour de passe-passe pour contourner la loi! Belle façon d'attirer des clients dans le magasin sans que ça coûte un cent!

En guise de protestation, je suis ressortie de chez Target sans rien acheter. Et quand le détaillant a quitté le Canada au début de l'année, après y avoir perdu des milliards, j'ai été plus triste pour les employés que pour la clientèle.

Depuis, le Vendredi fou, très peu pour moi.

Je n'ai rien contre les aubaines. Au contraire. Mais à quoi rime cette tradition chez nous? Le Vendredi fou n'a aucune logique dans notre calendrier. Aux États-Unis, le Black Friday suit le jeudi de l'Action de grâce. Or, cette journée ne correspond à rien au Canada, où l'on célèbre l'Action de grâce plus d'un mois plus tôt.

Chez nous, le Vendredi fou est une journée comme les autres.

Pourtant, cette traditionnelle journée de supersoldes qui lance la saison du magasinage des Fêtes aux États-Unis fait son chemin au Canada.

Lorsque le dollar canadien a touché la parité en 2007, les détaillants américains ont commencé à appliquer la même recette des deux côtés de la frontière, pour éviter que les Canadiens traversent aux États-Unis pour profiter des aubaines. Remarquez, ça ne risque pas d'arriver cette année avec le huard déprimé. Dieu qu'on se sent pauvre ces jours-ci aux États-Unis quand tout coûte un tiers de plus, à cause de la devise.

N'empêche, la mode du Vendredi fou est maintenant bien installée chez nous. Pour ne pas être en reste, les détaillants canadiens ont emboîté le pas. Jeudi rouge, Vendredi fou, Cyberlundi, tout y passe.

Pendant ce temps, la mode s'estompe aux États-Unis.

Depuis deux ans, les ventes baissent. Moins de gens se ruent dans les magasins. Ils achètent moins durant le long week-end de l'Action de grâce, et davantage à la dernière minute. Certains commerçants commencent même à faire marche arrière.

Ils réduisent les heures d'ouverture complètement folles. De nombreux commerçants accueillent la clientèle vers 5 ou 6h le vendredi matin, quand ce n'est pas dès minuit. Et depuis quelques années, certains détaillants ouvrent même leurs portes dès le jeudi soir de l'Action de grâce, alors que les familles sont en train de manger leur dinde. Et ils restent ouverts toute la nuit.

Pour protéger les pauvres employés forcés de travailler comme des dingues lors d'un férié, trois États de la Nouvelle-Angleterre ont carrément banni l'ouverture des commerces le jour de l'Action de grâce.

Certaines villes empêchent aussi les clients de camper devant les magasins. Cela posait des risques de sécurité puisque certains consommateurs arrivaient avec leur bombonne de propane et tout le tralala.

Cette année, il y en a même un qui campe depuis dimanche dernier devant un magasin d'électronique Best Buy pour être bien certain de ne pas rater les aubaines (on croirait presque qu'il est secrètement payé par le détaillant pour faire les manchettes). Outre un matelas, sa tente est équipée d'une télévision, d'un four micro-ondes et d'une chaufferette.

Ils sont fous, ces Américains!