Nicole Beaudoin n'avait aucune idée qu'elle était américaine. Encore moins qu'elle devait produire une déclaration de revenus chaque année aux États-Unis.

Quand elle a découvert l'an dernier qu'elle risquait bientôt des pénalités monstrueuses, comme des millions d'expatriés qui ne divulguent pas leurs comptes bancaires au fisc américain, elle n'a pas hésité longtemps : elle s'est rendue au consulat américain à Montréal pour renoncer à sa citoyenneté... juste avant que les frais de renonciation quintuplent de 450 US $ à 2350 US $ en septembre dernier.

« Quand je me suis retrouvée devant le vice-consul avec la main droite levée et le drapeau américain pour renoncer à notre citoyenneté, ça m'a fait une drôle de sensation », avoue la dame, même si elle ne s'était jamais crue américaine.

Née aux États-Unis, alors que ses parents y étudiaient, elle est venue au Canada à l'âge de 2 ans. Mais quand on vient au monde aux États-Unis, on est automatiquement citoyen, qu'on le veuille ou non. Il en va de même pour certaines personnes dont les deux parents sont américains.

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Ces jours-ci, Mme Beaudoin n'est pas la seule à dire adieu à l'Oncle Sam.

L'an dernier, un nombre record d'Américains ont renoncé à leur citoyenneté : 3415 personnes ont déchiré leur passeport, soit 13 % de plus qu'en 2013 qui était déjà une année record.

Le nombre peut sembler faible quand on sait qu'il y a environ 7,6 millions d'Américains qui vivent à l'extérieur de leur pays, dont près de 1 million au Canada. Mais la tendance pourrait s'accentuer avec l'entrée en vigueur de nouvelles règles fiscales controversées (FATCA) qui vont donner des sueurs froides aux expatriés.

Depuis le 1er juillet, le fisc américain étend ses tentacules au Canada. L'Internal Revenue Service (IRS) a accès aux renseignements sur les placements détenus par des Américains dans des institutions financières canadiennes.

Si vous avez ouvert un compte d'investissement récemment, vous avez peut-être remarqué que la banque vous a demandé : « Êtes-vous citoyen américain ? » Si vous avez faussement répondu « non », vous pourriez être accusé de parjure, ce qui est passible d'emprisonnement aux États-Unis.

Et si vous avez répondu « oui », vous serez désormais sur le radar de l'IRS.

« Contrairement au Canada, le régime fiscal américain assujettit ses citoyens et détenteurs de «green card» à l'impôt sur le revenu américain sur leur revenu mondial, et ce, peu importe leur lieu de résidence », explique Denis Rousseau, associé spécialisé en fiscalité américaine, chez Ernst & Young.

Cela signifie que vous devez produire une déclaration de revenus aux États-Unis (1040, U.S. Individual Income Tax Return) chaque année avant le 15 juin. Vous devez aussi remplir un formulaire pour divulguer tous vos comptes au Canada : REER, CELI, etc.

Ne vous en faites pas, vous n'aurez probablement pas d'impôt à payer, grâce à des ententes entre le Canada et les États-Unis. N'empêche, il vous en coûtera facilement 500 $ pour qu'un professionnel remplisse les documents... et beaucoup plus si vous avez une entreprise ou une fiducie.

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Vous ignoriez que vous étiez citoyen américain ? Vous n'avez jamais fait de déclaration américaine dans le passé ? Gare à vous, les pénalités peuvent être extrêmement salées. Jusqu'à 10 000 $ par document non produit, par année. Complètement ruineux !

Toutefois, les États-Unis ont mis en place un programme permettant de se conformer aux exigences passées, sans se faire taper sur les doigts.

« Si un contribuable américain se qualifie, le Streamlined Filing Compliance Procedures lui permettra de produire ses déclarations fiscales américaines pour les années antérieures sans pénalité », explique M. Rousseau.

Essentiellement, le contribuable doit produire ses déclarations de revenus des cinq dernières années rétroactivement. Même s'il ne doit pas un cent d'impôt, ces démarches peuvent entraîner des honoraires professionnels de 2000 à 10 000 $. Mais la facture pourrait dépasser 50 000 $ si vous avez une entreprise et des fiducies.

Vous comprenez pourquoi un nombre grandissant d'expatriés en ont marre et décident de renoncer à leur citoyenneté...

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Mais on ne dit pas au revoir au fisc américain si facilement.

Au moment du départ, les Américains sont assujettis à l'« Expatriation tax ». Cet impôt vise les gens qui se trouvent dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

*vous aviez des impôts à payer supérieurs à environ 150 000 $US par année au cours des cinq dernières années. Il faut gagner environ 600 000 $ pour dépasser ce seuil.

*Vos actifs dépassent 2 millions US.

*Vous n'avez pas rempli de déclaration de revenus américaine ou cours des cinq dernières années.

En gros, le contribuable doit s'imposer comme s'il avait vendu tous ses biens à la date de la renonciation et payer l'impôt sur le gain en capital au fisc américain.

Ici encore, il est possible que vous n'ayez rien à payer, car les gains en capital inférieurs à 668 000 $US sont exemptés (sans compter la résidence principale et les REER).

Mais il faut quand même remplir le formulaire (8854, Initial and Annual Expatriation Information Statement). Sinon, vous pourriez vous retrouver avec des pénalités.

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Tout cela est très compliqué, me dites-vous. Absolument ! Les institutions financières canadiennes ont dépensé une tonne d'argent pour répondre aux désirs du fisc américain. Tout ça pour lutter contre la fraude fiscale commise par des filous qui cachent leur fortune à l'étranger.

Or, le Canada est loin d'être un paradis fiscal !

Mais il faut se faire à l'idée, car ce n'est qu'un début. L'an dernier, l'OCDE a entrepris des démarches en vue de créer une norme mondiale d'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, suivant le modèle américain (FATCA), explique M. Rousseau. Le Canada pourrait y adhérer en 2018.

Dès lors, les expatriés des quatre coins de la planète pourraient apparaître sur le radar fiscal de leur pays d'origine.

Pour découvrir si vous êtes citoyen américain :

https://french.montreal.usconsulate.gov/citizen-services/citoyennet-amricaine.html

Pour connaître les règles fiscales visant les Américains à l'étranger :

https://www.irs.gov/Individuals/International-Taxpayers/Taxpayers-Living-Abroad

Pour avoir les détails sur le programme de divulgation volontaire :

https://www.irs.gov/Individuals/International-Taxpayers/Streamlined-Filing-Compliance-Procedures

Pour vous renseigner sur l'«Expatriation Tax» :

https://www.irs.gov/Individuals/International-Taxpayers/Expatriation-Tax