Natalie St-Pierre croit dur comme fer que la médiation fiscale permettrait d'éviter les conflits longs et ruineux pour les contribuables aux prises avec une cotisation déraisonnable.

Pour s'en convaincre, la fiscaliste a mené pendant deux ans un projet-pilote avec ses collègues du cabinet Richter (voir texte en page 3). Leurs résultats m'ont coupé le souffle: le groupe de femmes a réussi à dégonfler de 89% la facture présentée par Revenu Québec à 40 de ses clients.

Sa recette? La communication.

Le courant passe mal entre Revenu Québec et les contribuables, constate Mme St-Pierre. D'une part, le fisc se plaint que les entrepreneurs ne lui fournissent pas l'information requise. Mais d'autre part, les entrepreneurs estiment que le fisc les noie sous les demandes de documents excessives auxquelles ils doivent répondre dans des délais impossibles.

Et pendant tout ce temps, le vérificateur ne dit pas ce qu'il cherche ou ce qu'il reproche à l'entrepreneur, le laissant dans le noir, l'empêchant de faire valoir ses arguments. La cotisation tombe ensuite comme un couperet.

Le pire, c'est qu'en matière de taxe à la consommation, le montant est alors exigible sur-le-champ. Saisie, gel de compte de banque: l'entreprise n'a souvent plus les moyens de se défendre. Au lieu de se battre à armes inégales, certaines font faillite. Rien pour stimuler l'économie.

Dans son plus récent rapport annuel, le Protecteur du citoyen a d'ailleurs dénoncé les pratiques abusives du fisc. Le modus operandi de Revenu Québec entraîne «une judiciarisation inutile - et coûteuse pour tous - de différends qui, dès le départ, n'ont pas leur raison d'être», écrivait-il.

Il faut que ça change. Il faut rétablir l'équilibre des forces. Pourquoi pas avec la médiation?

L'automne dernier, l'Association de médiation fiscale a présenté un mémoire à la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise présidée par Luc Godbout.

Pour vous donner une idée du sérieux de la démarche, sachez que l'honorable Louise Otis, spécialiste de la médiation qui jouit d'une renommée internationale, compte parmi les cinq cofondatrices de l'Association, tout comme Natalie St-Pierre.

Leur projet consiste à intégrer un service de médiation indépendant et gratuit, à même le processus de vérification fiscale.

Le contribuable ou le fisc pourrait demander une médiation dès qu'un différend se dessine, avant même l'envoi de l'avis de la cotisation. Le processus permettrait de dénouer en quelques jours ou semaines un litige qui pourrait autrement s'étirer sur plusieurs années.

La démarche serait confidentielle, pour éviter que le conflit ne se retrouve sur la place publique. Mais les résultats pourraient être publiés, en préservant l'anonymat du contribuable, afin d'assurer la transparence du système.

Ultimement, la médiation permettrait de sortir de la logique d'affrontement qui s'est développée au fil des ans. Depuis cinq ans, les cotisations ont bondi de 73% à Revenu Québec, fouetté par les objectifs de lutte contre le déficit de Québec. Or, cette offensive du fisc a entraîné une hausse substantielle des litiges avec les contribuables. En effet, le tiers des contribuables qui doivent cotiser à la suite d'une vérification décident de s'y opposer.

Tout cela coûte cher et impose un stress énorme aux contribuables. Avec la médiation, les entrepreneurs de bonne foi pourraient retourner rapidement à la gestion de leur entreprise. Et le fisc pourrait concentrer ses efforts sur les véritables délinquants fiscaux.

En préservant des relations cordiales entre les contribuables et le fisc, la médiation permettrait aussi d'améliorer le niveau de conformité.

En effet, les études démontrent que deux facteurs sont particulièrement importants pour assurer le respect des règles: le bon contact avec les autorités fiscales et la perception d'équité du système fiscal.

Les contribuables qui ont entendu des histoires d'horreur à propos du fisc (par exemple, un proche qui a dû payer un montant d'impôt injuste, faute d'argent pour se défendre) sont dégoûtés du système et ont ensuite moins tendance à se conformer aux lois.

Ces dernières années, la médiation fiscale a pris de l'élan dans le monde, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande.

Au Québec, le nouveau Code de procédure civile encourage un plus grand recours à la médiation pour améliorer l'accès à la justice. La médiation est déjà bien implantée dans certains domaines comme le droit familial où l'on veut empêcher des familles de s'entredéchirer et de dilapider leur patrimoine en procédures judiciaires.

Pourquoi ne pas faire de même dans le domaine fiscal? Certains diront que les enjeux sont trop spécialisés. Bien sûr, il faudra s'assurer que les médiateurs connaissent la fiscalité sur le bout de leurs doigts, pour éviter les pertes de temps.

Mais surtout, il faudra s'assurer que les médiateurs seront véritablement indépendants du fisc, sinon les contribuables n'auront pas confiance dans le processus, comme l'a démontré l'expérience d'autres pays.

Les contribuables seront heureux d'apprendre que Revenu Québec a «pris connaissance avec intérêt» du mémoire de l'Association de médiation fiscale. Le fisc se dit en accord avec la tendance aux modes alternatifs de résolution des différends. Cependant, le projet de l'Association lui semble imprécis et soulève des questionnements.

Pas de problème. Il y a certainement moyen de s'entendre. Surtout quand on parle de médiation!

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Cinq exemples de projets de cotisation dégonflés

1- Entreprise du domaine de la viande et de la volaille Projet de cotisation: 1,5 million Montant réduit de 96%

2- Entreprise qui existe depuis de nombreuses années Projet de cotisation: 800 000$ Montant réduit de plus de 95%

3- Entreprise exportatrice dans le secteur du vêtement Projet de cotisation: 3,5 millions Montant réduit de 65%

4- Entreprise du secteur forestier Projet de cotisation: supérieur à 1,4 million Montant réduit de plus de 95%

5- Entreprise de la région de Montréal Projet de cotisation: 8 millions Montant réduit de 94%

Source: Richter