Le chèque est arrivé le 11 décembre comme un cadeau de Noël que je n'attendais pas. Mon premier recours collectif! Un beau montant de 265$ qui découle d'une vieille histoire de droits d'auteur remontant à 1999.

Quinze ans plus tard, j'avoue que j'aurais facilement pu passer à côté. C'est tout à fait par hasard que j'avais réalisé que je pouvais faire une réclamation, l'automne dernier, alors que je fouinais sur Twitter.

Mais tout le monde n'est pas aussi chanceux. Trop souvent, les recours collectifs ratent leur cible. Même quand les avocats obtiennent gain de cause, après des années de lutte, l'argent ne se rend pas au complet jusqu'aux personnes lésées.

L'information sur les recours collectifs est déficiente, éparpillée. Où appeler? Faut-il s'inscrire? Que faire pour recevoir son dû? Les consommateurs ne savent pas à quel saint se vouer.

Il existe des registres qui recensent tous les recours collectifs au Québec et au Canada. Mais ils sont davantage conçus pour les initiés que pour le grand public. Et surtout, ils ne font pas ressortir les recours qui arrivent au stade de la réclamation, le moment crucial où les justiciables doivent faire des démarches, faute de quoi ils n'auront rien du tout.

Il y a bien des avis qui sont publiés dans les journaux. Mais ils ne risquent pas de pousser les gens à l'action s'ils sont rédigés dans un jargon légal rebutant.

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Quel est le taux de réclamation des recours collectifs? Difficile à dire. Les études empiriques sur cette question sont rares. Une grave lacune, car il s'agit d'un aspect crucial des recours collectifs. Mais les avocats vous diront que seulement 10 à 20% des consommateurs vont chercher leur dû quand ils doivent faire des démarches.

Par contre, le taux de réclamation sera excellent si l'entreprise possède le nom et l'adresse des clients visés. Prenez le recours collectif de 3,5 millions qui visait 200 000 clients de la Banque Nationale. Environ la moitié des clients étaient encore avec la Banque qui leur a tous versé l'argent directement dans leur compte.

Mais parmi les 100 000 autres clients qui avaient changé d'institution, seulement 4000 ont fait une réclamation, même si des avis avaient été expédiés à leur dernière adresse connue. Un taux de réclamation d'à peine 4%. Dommage.

Pourquoi les gens ne vont-ils pas chercher l'argent qui leur pend au bout du nez? Déficience en littératie financière? Manque de temps? Procrastination?

Certains jugent peut-être que le jeu n'en vaut pas la chandelle, si le montant est faible ou si les démarches à faire sont trop compliquées. Remplir un formulaire, fournir des preuves... Bah, au diable!

Pour faciliter la tâche des consommateurs, les démarches sont parfois simplifiées à l'extrême. On l'a vu avec le recours collectif contre Danone, en 2013. L'entreprise a remis 1,7 million de dollars sans même demander de preuve d'achat. Il suffisait de remplir un formulaire en ligne pour toucher 30$! Certains ont peut-être triché. Mais si on avait demandé les factures de yogourts achetés quatre ans plus tôt, qui aurait réclamé?

Le temps joue aussi contre les recours collectifs. Plus ça s'étire, plus les gens se désintéressent et plus il est ardu de les retracer. Voyez ce qui s'est produit avec le recours contre Canada Air Charter qui avait laissé en plan plus de 7000 voyageurs en 2002. L'affaire ne s'est conclue que huit ans plus tard. Moins de 10% des clients lésés ont finalement réclamé leur dû qui s'élevait pourtant à quelques centaines de dollars par personne.

Parfois, les gens se privent de sommes colossales. Dans un recours portant sur les implants mammaires, une dame qui devait recevoir environ 60 000$ refusait catégoriquement de faire les démarches, convaincue qu'elle était la cible de fraudeurs. Avec toutes les arnaques qui circulent, on peut la comprendre. Le cabinet d'avocats Unterberg Labelle Lebeau a dû contacter des membres de sa famille pour parvenir à la rassurer.

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À voir des taux de réclamation parfois très bas, les cyniques diront qu'il n'y a que les avocats qui s'enrichissent avec les recours collectifs. Je n'adhère pas à leur point de vue.

Leurs honoraires peuvent sembler imposants. Par exemple, les avocats qui ont remporté l'an dernier un recours collectif de 37 millions contre la Banque Royale et MBNA ont touché 11 millions. Mais le cabinet avait travaillé pendant 10 ans sur le dossier... sans savoir s'il obtiendrait gain de cause.

Les avocats qui sont payés à pourcentage peuvent recevoir 25% du montant remporté. Mais 25% de zéro, ça ne donne pas grand-chose! Il faut considérer le risque financier qu'ils prennent.

Par ailleurs, il ne faut pas conclure qu'un recours collectif est un coup d'épée dans l'eau, même si peu de consommateurs réclament leur argent.

Les recours collectifs ont le mérite de désengorger les tribunaux. Il vaut mieux avoir une seule réclamation plutôt que 3000 poursuites identiques aux petites créances.

Les recours ont aussi un grand pouvoir dissuasif. L'entreprise ciblée n'a pas le choix de prendre l'affaire au sérieux, compte tenu du montant élevé, des frais de défense importants et de la couverture médiatique.

Tout cela permet d'assurer le respect de la loi. Les entreprises sont forcées de mettre fin à leur pratique douteuse, ce qui bénéficie à toute la clientèle.

Et lorsque les victimes ne réclament pas leur dû, l'entreprise verse le reliquat à des organismes qui défendent des causes qui collent avec le recours collectif. Les organismes de défense des consommateurs qui ne roulent pas sur l'or disposent alors d'un peu plus d'argent pour défendre le grand public. Et c'est tant mieux.

Pour en savoir plus sur les recours collectifs...

La Cour supérieure tient un registre des recours collectifs depuis 2009.

https://services.justice.gouv.qc.ca/dgsj/rrc/Accueil/Accueil.aspx

L'Association du Barreau canadien offre une base de données sur les recours collectifs déposés au Canada depuis 2007.

www.cba.org/recourscollectifs/main/gate/index/