A priori, il s'agit d'une nouvelle réjouissante pour démarrer l'année: le 1er janvier, le plafond de réclamation à la Cour des petites créances est passé de 7000$ à 15 000$.

Une bonne nouvelle, car de nombreux justiciables aux prises avec des litiges d'un montant beaucoup plus élevé, parfois plus de 20 000$, réduisaient leur réclamation afin de passer à la Cour des petites créances. Une poursuite à la Cour du Québec leur aurait coûté trop cher en frais d'avocat. Et se défendre seul dans la cour des grands quand la partie adverse est représentée par un avocat aguerri est un pari très risqué.

C'est donc une bonne idée d'ouvrir un peu plus grand les portes des petites créances. Mais en même temps, le rehaussement du plafond risque d'augmenter le volume de dossiers, ce qui pourrait embourber le tribunal encore plus.

Il faut dire que le ministère de la Justice n'a prévu aucune augmentation des effectifs, considérant que la mesure entraînera seulement un déplacement de la Cour du Québec vers la division des petites créances de la même Cour.

Alors les consommateurs devront se croiser les doigts pour que la transition n'augmente pas les délais d'audition, qui sont déjà très longs aux petites créances. À Montréal, il faut patienter 500 jours, environ 16 mois, avant de passer devant le juge. À Rimouski et à Rivière-du-Loup, c'est encore pire: il y a un an et demi d'attente. Dans les grands centres, comme Québec, Laval, Sherbrooke, les délais tournaient autour de 300 jours en 2014.

Remarquez, l'attente a déjà été plus longue. Un lecteur me racontait qu'il a patienté plus de deux ans et demi avant d'obtenir une décision. Il avait déposé une poursuite en mars 2011 au palais de justice de Laval. Sa cause a été entendue en juillet 2013 et ce n'est qu'en octobre 2013 qu'il a reçu le jugement.

«On a trouvé ça très long! s'exclame-t-il. Si ça avait été seulement pour 1000 ou 2000$, c'est sûr qu'on aurait laissé tomber dès le début.»

Décrochage judiciaire

Il est bien là, le problème. À cause des délais, trop de consommateurs ne se donnent même plus la peine d'aller aux petites créances. Ils renoncent à faire valoir leurs droits.

Mais les délais ne sont pas le seul obstacle. Les frais juridiques sont dissuasifs pour les petites réclamations. Les heures d'ouverture peu flexibles forcent les citoyens à perdre des heures de travail. Et la complexité du langage juridique et des règles de procédures intimident les justiciables.

Pour toutes ces raisons, les petites créances accueillent surtout une clientèle francophone, scolarisée et à revenus élevés. Et malheureusement, les plus démunis et les membres de communautés culturelles s'y font rares.

«Cette cour s'adresse à tout le monde. Mais, dans les faits, ce n'est pas tout le monde qui la fréquente», résume le professeur de droit Pierre-Claude Lafond dans son ouvrage L'accès à la justice civile au Québec.

C'est ainsi que les petites créances reçoivent trois fois moins de dossiers qu'il y a trente ans. Cette longue et inexorable chute constitue un véritable décrochage judiciaire et témoigne de la perte de confiance des citoyens envers les tribunaux. Nombre d'entre eux se rabattent maintenant sur les médias traditionnels ou sociaux pour se faire justice.

Ce n'est pas en relevant le plafond des petites créances qu'on améliorera véritablement l'accessibilité à la justice. Le problème est plus profond.

Justice 2.0

Quoi faire, alors? Sortir la justice des tribunaux. Se rapprocher des gens. Parler le langage du vrai monde. Privilégier des modes de règlements de remplacement, moins formels, moins lourds.

Il était un temps où l'Office de la protection du consommateur (OPC) jouait un peu le rôle de médiateur. Mais avec les restrictions budgétaires, leurs agents dirigent davantage les consommateurs vers les petites créances au lieu de les aider à régler leur conflit avec le commerçant.

Il y a bien un service de médiation aux petites créances, mais les commerçants ne veulent pas s'y plier. Une étude de l'OPC a démontré que quatre commerçants sur cinq refusent de la médiation, forçant leurs clients à se rendre devant le juge. Leur attitude conflictuelle coûte une fortune à l'État. Voilà qui est désolant.

Québec veut forcer la main des commerçants en instaurant un projet-pilote de médiation obligatoire pour les problèmes de consommation aux petites créances. L'objectif est louable. Mais si on assoit le commerçant de force à la table de médiation, il risque de se croiser les bras et de bouder en attendant le procès. Tout le monde se sera déplacé au palais de justice pour rien.

Alors, que faire? Le laboratoire de cyberjustice de l'Université de Montréal a une option intéressante à offrir: la plateforme d'aide au règlement des litiges en ligne (PARLE). Cet outil permettrait aux consommateurs de régler leur problème au moment de leur choix dans le confort de leur foyer en suivant différentes étapes de négociation et de médiation.

Des géants du commerce en ligne comme eBay parviennent à régler la grande majorité des problèmes avant ce genre de plateforme. En Europe, tous les cybercommerçants seront bientôt tenus d'offrir un tel service de résolution de conflits en ligne.

Pourquoi pas chez nous? Il me semble qu'on pourrait donner un petit coup de jeune à la justice en modernisant les mécanismes d'accès aux tribunaux.

Patience, patience...

Exemples de délais d'audition à la Cour des petites créances en nombre de jours (délais d'audition moyen pour une période allant de janvier à octobre 2014)

Rivière-du-Loup 586

Rimouski 550

Montréal 500

Sherbrooke 360

Laval 339

Québec 308

Longueuil 291

Gatineau 264

Saguenay 178

Trois-Rivières 143

Rouyn-Noranda 131

Sept-Îles 125