Cela faisait plus de 10 ans qu'on attendait la fin de cette saga entourant les frais de change sur les cartes de crédit. Vendredi, la Cour suprême a tranché: les banques devront rembourser leurs clients, car elles leur ont caché les frais - souvent 2,5 % - qui s'appliquent chaque fois qu'ils font une transaction en devises étrangères avec leur carte. Les banques devront aussi verser des dommages et intérêts punitifs.

Belle victoire! Mais même si la décision est globalement favorable aux consommateurs québécois, elle laisse des zones grises qui font craindre de nouvelles contestations judiciaires.

Il faut comprendre que l'affaire Marcotte - du nom du plaignant qui a entrepris le recours collectif en 2003 - allait bien au-delà d'une simple histoire de frais de change. En fait, les banques refusaient carrément de se conformer à la Loi sur la protection du consommateur (LPC), prétextant qu'elles n'avaient pas à suivre les règles du jeu du Québec puisque les banques sont de compétence fédérale.

Ce débat constitutionnel avait donc une portée très large non seulement pour les banques, mais aussi pour d'autres entreprises de compétence fédérale comme les fournisseurs de télécommunications et les transporteurs aériens qui se sont déjà fait tirer l'oreille pour appliquer des certaines règles «made in Québec».

Souvenez-vous d'Air Canada qui a refusé d'afficher des prix «tout compris» après la réforme de la LPC en 2010. Malgré un recours collectif, malgré une poursuite de l'Office de la protection du consommateur (OPC), Air Canada continuait de dissimuler des surcharges et des frais qui gonflaient considérablement le prix des billets d'avion.

Il aura fallu que Transports Canada s'en mêle, en 2012, pour qu'Air Canada mette fin à cette détestable pratique qui empêchait les consommateurs de comparer les prix aisément.

Message à retenir: quand Ottawa parle, on écoute. Mais la loi du Québec, on est au-dessus de ça! Et tant pis pour les consommateurs...

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Désormais, les entreprises de compétence fédérale auront du mal à tenir ce genre de discours.

Les banques ne peuvent «éviter l'application de toutes les lois provinciales qui touchent de près ou de loin à leurs activités», a rappelé la Cour suprême. Rien de renversant: c'est ce qu'avaient écrit la Cour d'appel et la Cour supérieure (sous la plume du juge Clément Gascon, qui vient d'être nommé à la Cour suprême).

Si un article de loi provincial va dans le sens contraire d'un article de loi fédérale, la loi fédérale aura préséance. Mais quand des articles fédéral et provincial vont dans le même sens, mais que l'article provincial va plus loin, l'article provincial peut s'appliquer sans problème. L'un n'empêche pas l'autre. Pas besoin de niveler par le bas.

Voilà qui est réjouissant pour les consommateurs du Québec, qui sont souvent protégés par des règles plus strictes.

C'est que Québec est plutôt avant-gardiste en matière de droit de la consommation. Par exemple, il s'est attaqué dès 2010 à l'industrie du sans-fil qui causait de gros mots de tête aux consommateurs. Encore aujourd'hui, certaines règles de la LPC vont plus loin que celles du Code imposé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) l'an dernier.

Québec voulait ensuite moderniser ses règles en matière de crédit. Il avait notamment l'intention d'obliger les émetteurs de cartes de crédit à relever le paiement minimum à 5 % du solde par mois, pour éviter que les consommateurs traînent des dettes éternellement. Québec voulait aussi interdire les cadeaux pour inciter les clients à demander une carte de crédit (ex.: 15 % sur votre achat, points ou milles gratuits). D'excellentes idées.

Mais il n'y a jamais eu de suite au projet de loi déposé en 2011. L'année suivante, Ottawa a mis des bâtons dans les roues de Québec en glissant en douce un passage dans le préambule de la Loi sur les banques prévoyant que le fédéral a les compétences «exclusives» dans ce domaine.

Est-ce que cela empêchera Québec de mieux encadrer le crédit et le prêt, ce qu'il fait déjà depuis belle lurette? Est-ce ce que cela permettra désormais aux banques d'être au-dessus des lois québécoises?

Ce n'est pas parce qu'Ottawa s'est accordé le droit d'imposer des «normes nationales claires, complètes et exclusives» dans les services bancaires que les provinces ne peuvent pas imposer aussi leurs règles en matière contractuelle, a précisé la Cour suprême.

N'empêche, tout est matière à interprétation. Espérons que cela ne déclenchera pas une autre bataille juridique. Ce n'est pas en perdant encore des années devant les tribunaux qu'on aidera les consommateurs que le gouvernement conservateur courtise si ardemment à l'approche des élections.