Lentement mais sûrement, les femmes se taillent une place dans les conseils d'administration des plus grandes sociétés canadiennes. Et le Québec fait figure de chef de file.

«On s'en va dans la bonne direction, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire», m'a confié Coleen MacKinnon-Charette, responsable au Québec de Catalyst, une firme fondée à New York, il y a 50 ans, pour aider les femmes à atteindre des postes de direction.

Bien sûr, on est loin de la Madison Avenue des années 60, de l'univers sexiste de Mad Men, où les femmes, même les plus talentueuses, étaient reléguées à des emplois subalternes sans possibilité de grimper les échelons.

Mais après des années de sensibilisation, on reste encore très loin de la parité, comme le démontrent les résultats du rapport bisannuel de Catalyst qui sera dévoilé aujourd'hui.

16% de femmes

En 2013, les femmes occupaient 15,9% des sièges au sein des C.A. des sociétés du Financial Post 500, soit une avancée d'un point et demi de pourcentage en deux ans. En 2011, on dénombrait 14,5% de femmes.

Plus du tiers des sociétés (36%) ne comptent pas une seule femme à leur C.A. Dans le secteur de la construction et des ressources naturelles, l'absence de femmes demeure la norme.

Au Québec, on peut citer les papetières Tembec et Produits forestiers Résolu, le géant du camionnage TransForce et le poids lourd de la construction Pomerleau qui n'ont pas la moindre femme à leur conseil.

Pourtant, ce n'est pas une mission impossible de recruter des femmes compétentes. Dans une société sur quatre, les femmes occupent plus de 25% des sièges du C.A. Et dans une société sur 10, elles sont plus de 40%.

On sent un véritable éveil dans certaines industries, notamment dans les sociétés financières (Banque Laurentienne, Banque Nationale, Banque de Montréal, La Capitale, Desjardins) et dans le commerce de détail (Corus, Québecor, Jean-Coutu, Saputo).

Chapeau! Voilà des exemples à suivre.

Diversité = rentabilité

«Après 10 ans d'études incontestables de Catalyst, McKinsey, Forbes, Credit Suisse, KPMG et autres grands noms, je pense que les sociétés croient finalement les résultats», constate Mme MacKinnon-Charette.

Les études pointent toutes dans la même direction: la diversité hommes-femmes rend les sociétés plus concurrentielles et plus rentables.

Pourquoi?

La diversité optimise la rétention des talents et favorise l'innovation, vous répondra Jacynthe Côté, présidente de Rio Tinto Alcan.

La diversité hommes-femmes au conseil entraîne des discussions plus approfondies et une plus grande variété de points de vue peuvent s'exprimer, vous dira Robert Tassé, président du conseil de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

La discussion est toujours enrichie par une diversité de compétences et d'expérience. Il n'y a rien de plus contreproductif que d'avoir constamment l'unanimité sans réelle discussion, ajoutera Guylaine Saucier, qui siège au C.A. de plusieurs grandes sociétés.

Le Québec en tête

Le Québec fait figure de pionnier en matière de diversité. Chez nous, les femmes occupent 20% des sièges aux C.A., ce qui est largement attribuable au fait que les sociétés d'État sont désormais tenues à la parité.

Le Parti libéral voudrait maintenant aller plus loin, en ajoutant un critère dans les appels d'offres des sociétés publiques, soit la présence d'une politique d'équité entre les hommes et les femmes dans les entreprises soumissionnaires.

En Europe, plusieurs pays comme la Norvège ont carrément imposé des quotas pour faire entrer les femmes dans les C.A. des sociétés inscrites en Bourse, où les femmes sont particulièrement rares. Au Canada, elles n'ont que 12% des sièges des sociétés ouvertes.

Mais chez nous, peu de femmes approuvent ce genre de solution forcée. Elles ne veulent pas avoir l'impression qu'on leur a accordé un poste parce qu'elles sont une femme, plutôt que parce qu'elles sont compétentes.

Mais d'autres mesures - complètement neutres - pourraient aider les femmes à accéder aux C.A. par la bande. Par exemple, on pourrait limiter la participation des membres du C.A. à un certain nombre d'années.

Le sang neuf est toujours bon pour fouetter les idées et éviter qu'un C.A. s'engourdisse dans ses vieilles habitudes. Et en régénérant la salle du conseil, on ferait de la place aux jeunes... y compris aux femmes.

Mais pour l'instant, le Canada préfère une approche non contraignante. Selon le projet de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, qui apparaît comme un compromis acceptable pour tous, les sociétés devront bientôt «appliquer ou s'expliquer».

Chaque année, elles devront dévoiler le nombre de femmes au C.A. et à la haute direction. Elles aussi devront indiquer leurs objectifs pour améliorer la mixité et exposer leur plan d'action pour y parvenir.

En Australie, les femmes sont passées de 10 à 17% au sein des C.A., en quelques années, grâce à une mesure semblable.

Espérons que les résultats seront probants au Canada.