Avec le froid des derniers jours, les mordus de ski seront bientôt servis. Double diamants, bosses, sous-bois... Un instant! Avant de vous laisser dévaler les pentes, plusieurs centres de ski vous demanderont de signer un dégagement de responsabilité.

Pour avoir accès aux pistes de Mont-Tremblant qui ouvrent en fin de semaine, les abonnés doivent ainsi renoncer à toute réclamation, y compris pour «toutes blessures corporelles pour quelque cause que ce soit». Une clause aussi large a de quoi refroidir les skieurs.

Mais ce n'est rien d'exceptionnel. Si vous faites de l'équitation, du rafting, de l'hébertisme, du parachutisme ou tout autre sport plus ou moins dangereux, vous avez certainement déjà été obligé de signer ce genre de formulaire rédigé dans le rebutant jargon des avocats.

Devriez-vous signer ou pas? Quelle est la véritable portée de cette clause? En cas de blessure, pouvez-vous poursuivre quand même le responsable de l'activité?

«Il est clair que la Loi sur la protection du consommateur empêche ce genre de dispositions-là. L'article 10 dit qu'un commerçant ne peut pas limiter sa responsabilité», répond Patrice Deslauriers, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

L'article 1474 du Code civil stipule aussi qu'une entreprise ne peut pas exclure ou limiter sa responsabilité pour un préjudice corporel. Cela signifie que les clauses de dégagement de responsabilité pour des blessures ne tiennent pas la route.

En outre, on ne peut pas «exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde», ajoute le Code civil.

Alors, si vous avez subi des dommages parce qu'un commerçant a été insouciant, imprudent ou grossièrement négligent, vous pouvez le poursuivre, peu importe ce qu'il vous a fait signer auparavant.

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En 2010, une dame qui réclamait près de 800 000$ pour des blessures au dos a obtenu gain de cause, même si elle avait signé une exonération de responsabilité, cite Me Deslauriers.

Elle s'était rendue dans une ferme de l'Outaouais pour faire une randonnée à cheval en compagnie de son mari et de ses deux enfants. Dès que la dame est montée en selle, le cheval s'est retourné vers l'écurie. Il a foncé droit vers la porte dont l'ouverture était trop basse pour laisser passer sa cavalière.

Même en se penchant, la dame s'est frappé la tête. À l'intérieur, elle est restée étendue sur sa monture, car le plafond du bâtiment n'avait que six ou sept pieds. La jeune femme qui est accourue pour l'aider lui a recommandé de rester couchée sur le cheval pour ressortir de l'écurie.

Mais au moment où il s'est trouvé de nouveau dans l'embrasure, l'animal a courbé l'échine, coinçant le dos de sa cavalière.

Il est vrai que la perte de contrôle d'un animal est un risque inhérent au sport équestre. Mais dans cette affaire, le juge a déterminé que l'environnement et les consignes données à la cavalière n'étaient pas sûrs.

«L'ouverture dangereuse non barricadée constitue une faute dont seul le défendeur est responsable», a-t-il tranché. Et la malheureuse décision de ne pas faire descendre la cavalière avant de sortir de l'écurie «va à l'encontre des règles de sécurité élémentaires», ajoute-t-il.

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Cela dit, les sportifs blessés perdent souvent leur cause, parce qu'ils n'ont pas pu prouver la responsabilité de l'entreprise.

Prenez un skieur expérimenté qui est tombé à sa dernière descente (un classique). Il a glissé jusque sur un poteau sans protection qui se trouvait au bord de la piste. La jambe droite fracturée, a-t-il droit aux 170 000$ qu'il réclame? Non, ce n'est pas la faute de la montagne, selon le tribunal.

Morale de l'histoire: quand on pratique un sport dangereux, il faut savoir dans quoi on s'embarque. Et en cas d'accident, la station de ski n'est pas là pour jouer le rôle d'un assureur. Si vous vous blessez, il faudra vraiment prouver que les blessures ont été causées par sa faute. Autrement, vous n'obtiendrez pas un cent.

Même si elles ont peu de valeur légale, les clauses de dégagement de responsabilité ont au moins le mérite de prévenir sérieusement les clients du danger... en espérant qu'ils soient plus prudents.

«L'objectif numéro un est véritablement la sensibilisation aux risques inhérents de la pratique du sport», explique justement la porte-parole de Tremblant, Isabelle Vallée.

Cet objectif est certes louable. Mais alors, pourquoi ne pas se contenter d'une clause informative?

Au Taz, par exemple, on demande simplement de reconnaître que «la pratique du patin à roues alignées, du skateboard, du BMX [...] et l'utilisation [...] des installations du TAZ comportent des risques d'accidents et de blessures». Voilà qui est mieux.

Alors, au lieu de signer un dégagement de responsabilité tous azimuts, vous pourriez très bien répondre: «J'accepte les risques inhérents au sport. Mais l'article 1474 du Code civil interdit toute exclusion de responsabilité pour les dommages corporels ainsi que pour les fautes lourdes.»