À 60 ans, il pensait partir à la retraite bientôt grâce un héritage. L'investisseur, qui connaissait peu de choses à la Bourse, a confié plus de 350 000$ à un courtier d'Union Securities. Travailleur autonome, sans régime de retraite, il voulait préserver son capital pour assurer ses vieux jours.

Sans tenir compte de son profil d'investisseur ni de sa tolérance au risque, le conseiller a investi toutes ses économies dans un seul et unique titre, celui de BCE, qui faisait alors l'objet d'une offre d'achat. C'était en avril 2008.

Le courtier n'a jamais mis en garde son client contre les dangers flagrants d'un manque de diversification aussi extrême. Au contraire, il lui a dit que l'acquisition était dans la poche, alors que plusieurs obstacles menaçaient la transaction.

Mais il y a pire. Il a ensuite convaincu son client d'ouvrir un compte marge, afin d'emprunter pour investir davantage. Le courtier s'est alors lancé dans une série de transactions spéculatives, certaines sans l'autorisation de son client.

En huit semaines, il a tout perdu. Pour rembourser la marge, la firme a vendu les actions de BCE qui avaient plongé elles aussi, car la transaction venait d'avorter.

Quand l'investisseur a fermé son compte, il y restait moins de 20 000$. Autrement dit, 330 000$ étaient partis en fumée. Le courtier a été banni de l'industrie par l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), qui lui a imposé une amende de 100 000$.

Mais le client n'a rien eu. La firme de courtage de la Colombie-Britannique refuse de le dédommager. Elle a rejeté la décision de l'Ombudsman des services bancaires et d'investissement (OSBI), qui a été forcé de rendre l'affaire publique, la semaine dernière.

Les décisions de cet organisme indépendant de résolution des plaintes ne sont pas exécutoires. Mais en pratique, elles sont suivies à 99,8%.

Sauf que, depuis un an, 6 firmes ont refusé 11 décisions de l'OSBI, dont 2 la semaine dernière. La tendance est préoccupante. L'autorité de l'arbitre des services financiers est en jeu.

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L'OSBI a été créé en 1996 par l'industrie financière, qui voulait éviter à tout prix que le gouvernement lui impose un ombudsman étatique.

L'Ombudsman offre un service gratuit pour les épargnants qui ont maille à partir avec leur banque ou leur courtier. En se plaignant à l'OSBI, ils peuvent recevoir un dédommagement allant jusqu'à 350 000$.

Il s'agit d'une des rares solutions de rechange à une poursuite longue et coûteuse devant les tribunaux. Certains plaignants n'ont carrément pas d'autres recours, n'ayant pas les moyens d'engager un avocat ni l'énergie pour se battre contre une banque.

Mais dernièrement, l'industrie est moins tendre envers l'OSBI, qui est peut-être trop indépendant, pas assez docile à son goût.

Pourtant, on ne peut pas dire que l'OSBI exagère. En 2012, seulement 40% des plaintes liées à l'investissement se sont soldées par un dédommagement financier (161 sur 381). Les clients lésés ont reçu 22 600$ en moyenne.

Mais dans l'industrie, certains critiquent la méthode utilisée par l'OSBI pour calculer les pertes des investisseurs.

C'est dans ce contexte que la Banque Royale a claqué la porte de l'OSBI, en 2008, suivie par la Banque TD. Désormais, elles soumettent leurs litiges en matière bancaire à un autre médiateur: ADR Chambers, un organisme à but lucratif financé par les banques elles-mêmes.

Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a donné sa bénédiction à cette manoeuvre, au grand dam des organismes de défense des épargnants.

Désormais, les banques peuvent «magasiner» leur organisme indépendant de résolution des plaintes. Indépendant? C'est dur à croire.

Comment voulez-vous qu'un médiateur ait les coudées franches quand il sait que la banque peut le congédier si elle trouve ses décisions trop sévères? Le personnel qui analyse les dossiers n'a pas envie de perdre son gagne-pain. Cela peut l'inciter, consciemment ou pas, à se faire plus clément pour éviter les foudres de la banque.

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Mais revenons à l'investissement... Les membres de l'OCRCVM sont encore obligés d'adhérer à l'OSBI (y compris les filiales de courtage de la Royale et de la TD).

Par contre, l'OSBI n'a pas le pouvoir de leur imposer ses décisions. Jusqu'ici, sa capacité de rendre public le refus d'une firme de se conformer à sa décision était un outil suffisamment dissuasif pour l'inciter à dédommager le client. Mais cet outil n'a pas été conçu pour être réellement utilisé. Il s'agit d'une menace, pas d'une fin en soi.

De toute façon, personne ne sort gagnant d'un lynchage public. Le client lésé ne reçoit pas un cent et doit tout recommencer à zéro. La réputation du courtier est ternie, ce qui est pleinement mérité. Et l'Ombudsman fait la triste démonstration de ses limites.

Malheureusement, la récente vague de refus risque de banaliser le choix d'une firme de ne pas suivre la décision de l'OSBI. Et si la publication d'un refus n'entraîne plus de véritables conséquences, la menace ne servira plus à rien.

Tout parent qui se respecte sait fort bien qu'il faut mettre ses menaces à exécution. Sans conséquence réelle, un enfant fautif réalisera très vite qu'il peut recommencer comme bon lui semble. Et le parent n'aura plus aucune autorité. Idem pour l'OSBI.

Si on veut que l'OSBI soit pris au sérieux, il vaudrait mieux rendre ses décisions contraignantes, comme c'est le cas des ombudsmans au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

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LES REFUS D'INDEMNISER LA CLIENTÈLE S'ACCUMULENT

Six firmes de courtage ont refusé d'appliquer une décision de l'Ombudsman depuis un an

> 31 octobre 2013: Union Securities Limited

> 29 octobre 2013: De Thomas Financial Corp.

> 3 avril 2013: Connor Financial Corporation

> 30 novembre 2012: Macquarie Private Wealth

> 22 novembre 2012: W.H. Stuart & Associates

> 9 novembre 2012: Octagon Capital Corporation