À écouter le discours du Trône, hier après-midi, il était clair que Stephen Harpen veut devenir l'ami des consommateurs. Le premier ministre avait même pris soin de convier les organismes de défense de consommateurs aux mondanités entourant l'ouverture de la session parlementaire. Un honneur rare. En 12 ans de carrière, Caroline Arel, directrice générale par intérim d'Option consommateurs, n'avait jamais reçu une telle invitation.

C'était un secret de polichinelle, le gouvernement a annoncé une série de mesures favorables aux consommateurs. Entre autres, Ottawa a l'intention de mieux encadrer les frais d'itinérance souvent astronomiques imposés par les fournisseurs de télécommunications.

En pleine campagne de séduction, Ottawa veut aussi réduire l'écart de prix entre les produits vendus au Canada et aux États-Unis, réprimander les entreprises qui font payer les clients pour une facture papier, obliger les câblodistributeurs à offrir les canaux de télé à la carte plutôt qu'en bouquet.

Ça sent les élections! Toutes ces mesures pro-consommateur ont l'avantage de ne pas coûter cher au gouvernement, qui doit garder les cordons de la bourse serrés s'il veut respecter son engagement d'éliminer le déficit d'ici 2015-2016. D'ailleurs, plusieurs autres promesses conservatrices dépendent du retour à l'équilibre: le fractionnement des revenus pour l'ensemble des ménages, l'augmentation du plafond du compte d'épargne libre d'impôt (CELI) à 10 000$ par année.

Tant mieux si Ottawa fait avancer les droits des consommateurs. Mais on attendra avant d'applaudir, car depuis huit ans, conservateur ne rime pas souvent avec consommateur.

L'an dernier, par exemple, le ministre des Finances Jim Flaherty a coupé le sifflet de l'arbitre des services financiers, l'Ombudsman des services bancaires et d'investissement (OSBI). Dommage pour les clients des banques, car ce service gratuit constitue l'une des rares solutions de rechange à une poursuite en justice, longue et coûteuse.

Aussi, Ottawa a mis des bâtons dans les roues du gouvernement du Québec, qui veut resserrer les règles entourant le crédit. Ni vus ni connus, les conservateurs ont glissé une petite phrase anodine dans la Loi sur les banques, prévoyant que le fédéral a les compétences «exclusives» dans ce domaine. Une belle façon de niveler par le bas, car les lois provinciales protègent parfois les consommateurs davantage que les règles fédérales.

Vous voulez d'autres exemples où les conservateurs ont laissé tomber leurs amis les consommateurs?

Deux fois plutôt qu'une, ils ont rejeté un projet du Nouveau Parti démocratique qui voulait instaurer une charte des droits des passagers aériens, afin de mieux protéger les voyageurs qui restent cloués au sol parce que le transporteur a vendu trop de billets, ou ceux qui ont eu des problèmes avec leurs bagages.

Et que dire de la loi antipourriel? Voilà neuf ans que les internautes attendent qu'Ottawa leur prête main-forte pour combattre les pourriels, comme plusieurs pays l'ont fait depuis longtemps.

Il faut quand même saluer certaines initiatives d'Ottawa en matière de consommation. Par exemple, depuis juin dernier, les émetteurs de cartes de crédit n'ont plus le droit d'envoyer des «chèques promotionnels» à leurs clients, un instrument de crédit pernicieux et coûteux.

Mais il s'agit d'une mesure très ciblée. Pour s'attaquer à des problèmes de consommation plus sérieux, les conservateurs ont préféré mettre en place des codes volontaires, plutôt que des mesures contraignantes.

En 2010, Ottawa a instauré un code volontaire pour freiner l'escalade des frais sur les cartes de crédit. Un coup d'épée dans l'eau. VISA et MasterCard, un quasi-monopole, continuent d'imposer aux commerçants des frais allant jusqu'à 5% du montant de la transaction, une facture de 5 milliards qui est refilée aux consommateurs.

Trois ans plus tard, le problème reste donc entier. Pourquoi ne pas s'être attaqué à la racine du mal en plafonnant les frais, comme en Australie?

Mais au lieu de réglementer, les conservateurs misent sur la divulgation et la littératie financière. Prenez le cas des pénalités en cas de rupture d'hypothèque, un des pires problèmes du monde bancaire. Le gouvernement a obligé les prêteurs hypothécaires à fournir davantage d'information aux consommateurs, au lieu d'imposer une méthode de calcul afin d'éradiquer les pénalités abusives.

La transparence et la littératie financière, c'est très bien. Mais ça ne règle pas tous les problèmes, surtout dans un monde où les produits et services sont de plus en plus complexes. Il faut que le gouvernement aille plus loin.

«Depuis 40 ans, la société de consommation a tellement évolué et la réglementation n'a pas suivi», constate Mme Arel. «On salue le désir du gouvernement. Mais pour l'instant, les mesures annoncées restent vagues. Ça manque de vision générale. Et il y a encore beaucoup de domaines où il faudrait une réglementation plus large.»

Des idées? Remettre en piste la charte des voyageurs. Donner du mordant à la Loi sur la concurrence, dont les sanctions sont peu dissuasives. Resserrer les règles entourant le crédit pour lutter contre le surendettement. Abaisser le taux usuraire, qui se situe présentement à 60%. La liste est longue.