Vous habitez dans un quartier central de l'île de Montréal? J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.

La bonne? La valeur de votre maison a grimpé beaucoup plus que la moyenne depuis le dépôt du dernier rôle d'évaluation municipale, il y a trois ans. On parle d'une hausse de 27,9% sur le Plateau Mont-Royal, de 27,4% à Mont-Royal et de 25,8% à Outremont, selon le nouveau rôle déposé par la direction de l'évaluation foncière de Montréal, hier.

La mauvaise nouvelle? Comme ces hausses sont supérieures à l'augmentation moyenne des immeubles résidentiels à Montréal (21,2%), attendez-vous à une hausse substantielle de votre impôt foncier, à partir de 2014.

C'est comme ça que ça marche! Il faut savoir que lorsque la valeur moyenne des maisons augmente, la Ville réduit son taux de taxation d'autant pour éviter une explosion généralisée de l'impôt. C'est ainsi que la hausse des taxes à Montréal a suivi l'inflation depuis 2001, même si la valeur des immeubles a été multipliée par trois.

Mais au-delà de la moyenne, il y a de grandes disparités. Comme il n'y a qu'un seul taux de taxation, les propriétaires de maisons qui se sont le moins appréciées (par exemple, Saint-Léonard, Montréal-Nord, Dorval) peuvent bénéficier d'une baisse de taxes, tandis les propriétaires qui se sont le plus enrichis écopent d'une hausse salée.

Le coup est très dur pour certains propriétaires de longue date, souvent des retraités qui habitent dans un ancien quartier populaire en plein embourgeoisement. Pour les plus démunis, la facture fiscale est devenue si lourde que la seule issue est de vendre la maison.

C'est un peu comme s'ils se retrouvaient avec une Rolls-Royce, sans avoir d'argent pour mettre de l'essence, illustre François Des Rosiers, professeur titulaire de gestion urbaine et immobilière à l'Université Laval.

Que faire? Premièrement, il est possible de contester son évaluation. Quelque 7000 propriétaires l'ont fait après le dépôt du dernier rôle en 2010. Environ six sur dix ont obtenu une réduction... et quelques rares malchanceux, une hausse!

N'empêche, il faut prendre la peine de faire une demande de révision si vous avez des raisons de croire que votre évaluation ne reflète pas la réalité. Vous avez jusqu'au 30 avril 2014 pour présenter une demande.

Mais la plupart du temps, les propriétaires savent que l'évaluation est juste. Ils obtiendraient ce prix, même davantage, en mettant une pancarte à la porte.

Ce n'est pas l'évaluation qu'ils contestent, mais le système de taxation lui-même. Des groupes de propriétaires réclament depuis pratiquement 10 ans le gel ou le plafonnement des comptes de taxes. Grosso modo, tant que le propriétaire resterait chez lui, la hausse de sa valeur imposable serait limitée à l'inflation.

Malheureusement, cette formule a de gros effets pervers. «Après 20 ans, vous allez vous retrouver avec cinq maisons identiques sur une même rue dont les comptes de taxes seront tous différents. C'est parfaitement injuste», explique Pierre J. Hamel, professeur-chercheur à l'INRS-Urbanisation Culture Société.

Dans certains États américains, on constate que le gel des taxes nuit au marché immobilier. Les propriétaires de longue date ne veulent plus déménager, sachant qu'ils perdraient leur avantage fiscal.

Pour contourner le problème, les esprits créatifs peuvent alors mettre en place toutes sortes de stratégies. Par exemple, en plaçant la maison dans une entreprise, il serait possible de vendre l'entreprise plutôt que la maison, pour que le nouveau propriétaire continue de profiter d'un compte de taxes dégonflé. On ne voudrait pas en arriver là!

Le gel n'est pas une option équitable. "Ça revient à dire que tous les autres vont devoir se cotiser pour payer la part de celui qui s'est le plus enrichi», dit M. Hamel.

D'autres solutions ont déjà été avancées pour atténuer l'impact de la hausse des impôts fonciers: un crédit pour aider à absorber la hausse; des taux de taxation différenciés par zones géographiques à l'intérieur des municipalités, etc.

Mais peu importe la forme que prendrait la subvention, ce ne serait pas juste, pense M. Des Rosiers.

Alors que reste-t-il? Le report du paiement d'une partie des taxes au moment de la revente. Pour la plupart des spécialistes, c'est la moins mauvaise des solutions.

Le gouvernement pourrait mettre sur pied un système uniformisé qui permettrait de financer une partie de l'augmentation des taxes foncières, à des conditions plus avantageuses que dans les institutions financières, explique M. Des Rosiers.

Disons que vos taxes ont bondi de 1000 à 3000$. Vous pourriez emprunter 2000$ pour maintenir votre budget à flot. Année après année, les sommes empruntées s'accumuleraient sans que vous n'ayez à rembourser d'intérêts ou de capital. C'est seulement lors de la vente de votre maison que vous paieriez les taxes accumulées au fil des ans.

C'est le principe de l'hypothèque inversée. Or, les propriétaires ne veulent rien savoir de cette solution qui grugerait tranquillement la valeur de leur maison. On peut comprendre que les retraités ne veulent pas recommencer à s'endetter.

Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Cette valeur de revente qui serait grugée par le report de taxes, les propriétaires ne l'auraient jamais eue si leur maison ne s'était pas tant appréciée, n'est-ce pas?

Non, le report de taxes n'est pas la solution dont les propriétaires rêvent. Mais c'est une option réaliste, faisable et équitable. Ça vaut certainement mieux que le statu quo qui persiste depuis 10 ans et qui étouffe les propriétaires les plus démunis.