En débarquant en Norvège il y a quelques années, j'ai eu un petit choc en sortant les premières couronnes de mon portefeuille. Un sandwich au saumon fumé? On ajoute 25% de taxes à la consommation. Un verre de vin? Les taxes d'accise sont 10 fois plus élevées qu'au Canada. Faire le plein? La Norvège, qui déborde pourtant de pétrole, est l'un des pays où l'essence coûte le plus cher au monde. Bienvenue au royaume des taxes!

Le message a le mérite d'être clair: lâchez la boisson, mangez léger et prenez l'autobus. Ou vos skis de fond. Comme quoi les taxes à la consommation, si difficiles à digérer soient-elles, peuvent avoir des effets bénéfiques sur la santé publique et l'environnement.

Au Québec, les taxes de vente sont moins populaires. Chez nous, le poids des impôts sur le revenu des particuliers est beaucoup plus lourd (plus du tiers des recettes fiscales) que celui des taxes à la consommation (20%). Une mode très nord-américaine. Mais ailleurs dans le monde, c'est plutôt l'inverse.

Faisons-nous fausse route? Devrions-nous hausser les taxes, quitte à réduire les impôts, comme le proposait la fin de semaine dernière le nouveau chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard?

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Il n'y a pas de méthode de taxation parfaite. Mais la taxe à la consommation est moins nocive pour l'économie, répond Jean-Yves Duclos, professeur d'économie à l'Université Laval.

D'une part, l'impôt sur le revenu décourage le travail. En effet, certains travailleurs n'ont pas envie de faire des heures supplémentaires ou d'accepter une promotion, sachant qu'ils laisseront la moitié de leurs revenus additionnels au fisc.

D'autre part, la taxe à la consommation favorise l'épargne et l'investissement puisque les contribuables ne sont pas taxés tant et aussi longtemps qu'ils ne consomment pas. Pas bête quand on sait que le taux d'endettement des ménages canadiens est à un sommet.

Tout bien compté, il y a un avantage économique évident à prélever des taxes plutôt que des impôts, affirme Matthieu Arseneau, économiste principal à la Banque Nationale.

Selon ses calculs, Québec pourrait augmenter son taux de croissance économique de 0,12% en haussant la TVQ d'un point de pourcentage tout en diminuant les impôts du même montant (environ 1,5 milliard par année). Autrement dit, le PIB réel augmenterait de 2,12% par année au lieu de 2%, par exemple.

«À mes yeux, c'est non négligeable», souligne M. Arseneau. Sur 10 ans, cela permettrait de majorer le PIB réel de 4,3 milliards. C'est 511$ de plus dans les poches de chaque Québécois.

Québec a déjà relevé trois fois la TVQ, qui est passée de 7,5 à 9,975%. En ajoutant la TPS, les taxes de vente s'élèvent à 15%. Mais on pourrait aller plus loin.

En Europe, la taxe de vente tourne autour de 21%, selon les pays. Et depuis l'éclatement de la crise financière, presque la moitié des pays de l'OCDE, comme l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni, ont choisi d'augmenter leurs taxes à la consommation afin d'équilibrer leurs finances publiques, sans trop entraver la croissance de leur économie.

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Mais les détracteurs des taxes à la consommation s'insurgent déjà. Plus de taxes? Moins d'impôt? Ce sont les gagne-petit qui feront les frais de cette réforme, clament-ils. Attendez un peu.

Qui a dit que les baisses d'impôt iront aux plus riches? On sait qu'ils paient 50% d'impôt sur leurs revenus dépassant 100 000$... même 55% quand on ajoute la taxe santé. Cela paraît énorme.

Mais beaucoup de familles de la classe moyenne inférieure ont un taux effectif marginal d'imposition dépassant 75%. On parle de familles dont les revenus oscillent entre 30 000 et 45 000$ qui ne gagnent pratiquement rien à travailler davantage. Un réel problème.

D'éventuelles baisses d'impôt pourraient servir à atténuer les étranges distorsions fiscales dont les familles plus pauvres sont victimes.

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Ceux qui s'opposent à une hausse de la TVQ disent aussi qu'il s'agit d'une taxe «régressive». Comme le taux est le même pour tout le monde, le fardeau est plus lourd à porter pour les plus pauvres.

Mais attention! Il ne faut pas oublier que de nombreux biens essentiels sont exemptés, dont la nourriture et le logement qui sont les grands postes de dépenses des familles pauvres.

Ensuite, on peut atténuer l'effet de la hausse des taxes sur les gens moins fortunés en bonifiant le crédit à la solidarité, comme Québec l'a d'ailleurs fait lors des hausses précédentes de la TVQ.

Et pour rendre la TVQ plus progressive, Québec pourrait même surtaxer les produits de luxe et les produits nocifs, comme l'alcool et les véhicules énergivores. «On ne taxe pas suffisamment les produits qui nuisent à la santé publique et à l'environnement», estime M. Duclos.

La Scandinavie ne s'en prive pas. La taxe à l'achat d'un véhicule peut dépasser le prix du véhicule lui-même, rapporte l'OCDE. Imaginez, la taxe maximale sur un véhicule atteint 195% à Copenhague, contre 7% dans l'État de Washington, au pays de la camionnette Ford F-150.

Au Québec, les gens qui s'achètent des Rolex, boivent des grands crus et roulent en BMW ont certainement les moyens de payer plus de taxes. Pourvu que les taxes ne grimpent ni trop haut ni trop vite, car les personnes fortunées ont aussi les moyens de voyager et de magasiner aux États-Unis, où les produits sont moins chers. Et moins taxés.