Vraiment, Revenu Québec exagère. Je suis parfaitement d'accord avec la lutte contre l'évasion fiscale. Mais quand le fisc demande à un couple sans reproche de payer 51 000$ d'impôt supposément dus par un autre contribuable, ça dépasse les bornes.

L'histoire est abracadabrante... En 2010, Gisèle et Bernard ont déboursé 425 000$ pour un condo en banlieue de Montréal. Sur l'acte de vente, la notaire a précisé que le vendeur n'était plus résident du Canada. Marié à une Américaine, il vit maintenant en Floride.

La notaire aurait dû retenir une partie du montant de la vente en attendant que le vendeur produise sa déclaration de revenus. Elle aurait libéré l'argent seulement après avoir reçu un certificat du fisc démontrant que le vendeur a payé l'impôt sur le gain en capital résultant de la vente du condo.

Mais elle ne l'a pas fait. Grave omission.

En mars dernier, Gisèle et Bernard ont reçu une lettre de Revenu Québec qui veut leur coller une facture d'impôt de 51 000$. Plus une pénalité de 15%. Plus les intérêts courus depuis 2010... même si le couple n'a pas été informé de cette créance avant 2013.

Depuis un mois, le couple ne dort plus la nuit. Il s'attend à recevoir, d'un jour à l'autre, un avis de cotisation d'environ 70 000$.

Loin de les aider, les agents du fisc ont fait preuve «d'une certaine agressivité et d'un manque d'empathie assez marqué», rapporte Gisèle. On lui a expliqué que le vendeur n'avait pas produit les documents requis à Revenu Québec et qu'il n'avait pas payé l'impôt sur son gain en capital. Dans ce cas, ce sont les acheteurs qui ramassent la facture.

Oui, vous avez bien lu. Lorsqu'un immeuble est vendu par un non-résident canadien, les lois fiscales sont claires: c'est l'acheteur qui a la responsabilité de s'assurer que le vendeur a bel et bien payé l'impôt sur son gain en capital.

Alors, pensez-y à deux fois avant d'acheter la maison d'un non-résident! Si le vendeur quitte le Canada sans payer son dû, le fisc se retournera contre vous. Et il ne fera pas dans la dentelle. Le fisc peut réclamer 12% au provincial et 25% au fédéral.

Complètement arbitraire! L'impôt demandé à l'acheteur n'a aucun lien avec la véritable facture fiscale du vendeur.

Dans le cas de Gisèle et Bernard, le propriétaire précédent avait déboursé 353 310$ pour acheter le condo en janvier 2008, a découvert Paul Ryan, avocat fiscaliste et auteur du livre Quand le fisc attaque, qui a fouillé les registres à ma demande.

Comme l'ancien propriétaire a revendu le condo 425 000$, cela signifie que son gain en capital s'élève à 71 690$. De ce montant, seulement 35 845$ sont imposables, puisque les gains en capital ne sont imposables qu'à moitié.

Alors, même si l'ancien propriétaire était imposé au taux le plus élevé (24%), l'impôt provincial sur la vente de son condo ne pouvait pas dépasser 8600$. Pourtant, Revenu Québec brandit une facture de 51 000$ au couple d'acheteurs. C'est absurde, mais la loi est ainsi faite. C'est la loi du moindre effort.

Sachant qu'il est difficile et coûteux de poursuivre des contribuables qui vivent à l'étranger, le fisc met le fardeau sur les acheteurs. Gisèle et Bernard pourraient poursuivre eux-mêmes le vendeur, mais les frais d'avocat risquent d'être plus élevés que le montant qu'ils pourraient récupérer.

En tout cas, Revenu Québec n'a pas l'intention de faire preuve de clémence. Le fisc ne semble même pas disposé à passer l'éponge sur les pénalités et les intérêts, même s'il peut le faire dans certaines circonstances.

«Le contrat d'achat indique clairement que le vendeur a déclaré être non-résident canadien [...]. Dans ce contexte, nous comprenons difficilement que [l'acheteur] n'ait pas été informé, d'autant plus qu'aucun montant n'a été retenu du prix de vente comme le prévoit l'article 1101», m'a répondu le porte-parole de Revenu Québec, Stéphane Dion.

Autrement dit, le fisc rejette le blâme sur la notaire. Effectivement, elle ne semble pas avoir fait son travail comme il faut.

Quand le vendeur est non-résident, «le devoir du notaire est de conseiller les acheteurs de retenir une partie de l'argent au cas où il y aurait des impôts à payer. Si ce devoir-là n'a pas été exercé, c'est certain qu'il y a une responsabilité», m'a dit le président de la Chambre des notaires, Me Jean Lambert.

Gisèle et Bernard pourraient donc se faire rembourser leur facture fiscale par le Fonds d'assurance-responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec (FARPCNQ), qui couvre les clients qui sont victimes d'une erreur de la part d'un notaire.

Tant mieux si le Fonds accepte la demande du couple. Mais cela ne m'empêche pas de penser que le fisc va trop loin.

«Dans le cadre de la lutte contre l'évasion fiscale, le fisc a déployé des filets pour attraper les gros requins. Mais les mailles du filet ramènent des petits poissons qui ne le méritent pas», raconte Me Ryan.

Le fisc devrait laisser les gens honnêtes tranquilles et aller à la pêche dans les paradis fiscaux.