Certains diront qu'il faut être un peu fou pour lancer une nouvelle rente destinée aux Québécois de 75 ans, alors que nos régimes de retraite craquent de partout. Certes, l'idée de la rente longévité du comité D'Amours va à contre-courant. Mais elle est parfaitement sensée.

La rente longévité a été dessinée de toutes pièces par le comité d'experts qui a cherché pendant 18 mois la meilleure solution pour colmater les brèches de notre système de retraite.

Rappelons qu'au Québec, un travailleur sur deux n'a aucun régime de retraite avec son employeur. Abandonnés à eux-mêmes, la plupart n'épargnent pas assez. Si rien n'est fait, une large part de la classe moyenne sera incapable de maintenir son niveau de vie à la retraite. Un choc personnel. Un choc pour l'économie. Et un choc pour les finances publiques, car plusieurs se retrouveront aux crochets de l'État.

C'est un problème de société majeur. Il faut agir.

La rente longévité se veut donc un nouveau pilier de notre système de retraite. À partir de 75 ans, tous les travailleurs profiteraient d'une rente représentant 0,5% de leur salaire, multiplié par le nombre d'années de cotisation. Par exemple, un travailleur qui aurait cotisé 40 ans, soit de 25 à 64 ans, toucherait une rente équivalant à 20% de son salaire (plafonné à 51 000$ en 2013).

Les personnes âgées pourraient compter sur un niveau de vie décent jusqu'à la fin de leurs jours en ajoutant la rente de la Régie des rentes du Québec (RRQ), qui fournit 25% des revenus d'emploi, ainsi que la Pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) versée par Ottawa.

Les critiques plaideront que la rente longévité risque de faire perdre le Supplément de revenu garanti (SRG) qu'Ottawa verse aux aînés les plus démunis. C'est vrai. Mais ce n'est pas une raison pour nous empêcher d'améliorer notre retraite. Ce serait comme dire qu'on ne veut pas travailler pour ne pas perdre son aide sociale.

Mais pourquoi une rente à 75 ans seulement? Et pourquoi un régime public?

Parce que le comité a voulu s'attaquer au risque de longévité, soit le risque de survivre à ses épargnes, qui est particulièrement difficile à gérer individuellement. En effet, personne ne connaît l'heure de sa mort. Pour être certain de ne pas épuiser ses économies, il faut prévoir de l'argent au moins jusqu'à 90 ans, même si l'espérance de vie oscille autour de 80 ans.

Collectivement, l'épargne requise est bien moins grande, car on peut se fonder sur l'espérance de vie du groupe. C'est le principe de l'assurance.

Le fait de mettre les épargnes en commun permet aussi de réduire les frais de gestion et d'atténuer les risques d'erreur de placement... même si les grands gestionnaires font aussi des gaffes, comme la perte de 40 milliards de la Caisse de dépôt et placement en témoigne.

Il n'en demeure pas moins que la mutualisation permet de réduire l'effort nécessaire pour la retraite. Les chiffres parlent d'eux-mêmes... Présentement, un Québécois qui commence à épargner à 30 ans doit économiser 19% de son salaire s'il veut prendre sa retraite à 62 ans. Avec la rente longévité, cet effort ne serait que de 13%.

Pourtant, la cotisation de la rente longévité serait de seulement 3,3% du salaire par année (1,65% employeur/employé). On voit bien que la rente longévité permettrait de réduire l'effort d'épargne collectif.

Mais on ne parle pas non plus d'une «nationalisation» de la retraite. Les travailleurs resteraient quand même responsables de la planification de leur retraite, surtout s'ils veulent quitter le boulot plus vite ou se payer quelques douceurs.

C'est la RRQ qui aurait le mandat de récolter les cotisations, ce qui est tout à fait logique, car elle dispose déjà de toute l'infrastructure pour faire des prélèvements à la source, moyennant des frais administratifs très faibles.

Mais ne vous y trompez pas! La rente de longévité ne serait pas le prolongement de l'actuelle RRQ.

La bonification de la RRQ que réclament certains syndicats n'est pas une bonne idée. La RRQ cache un déficit intergénérationnel majeur: les jeunes doivent mettre les bouchées doubles (même triples!) parce que les premiers bénéficiaires ont eu droit à une rente au rabais. Il serait foncièrement injuste de bâtir un nouveau régime sur ces fondations.

Mais à la différence de la RRQ, la rente longévité serait pleinement capitalisée. Ça signifie que l'argent accumulé par les travailleurs d'aujourd'hui servirait uniquement à payer les rentes de leur propre génération dans 20 ou 30 ans, et non pas celles des retraités actuels.

Évidemment, tout ça aura un coût. Les cotisations s'élèveraient à 4 milliards par année. Mais il n'y aurait pas de facture additionnelle pour les employeurs qui ont déjà un régime de retraite, car ils pourraient rediriger une partie de leurs cotisations vers ce nouveau régime.

Les employeurs qui n'offrent pas de régime devront mettre l'épaule à la roue. Mais ce n'est pas la fin du monde. En 2006, la Norvège a forcé tous les employeurs à verser 2% du salaire de leurs employés, pour leur offrir une retraite minimale. D'abord mal reçue par les PME, la réforme a finalement été digérée sans peine.

Au final, la création de la rente longévité aurait quand même une incidence de 2,1 à 2,6 milliards sur l'économie, soit une perte de 0,6 à 0,8% pour le produit intérieur brut (PIB) du Québec. L'effort est considérable. Mais si on veut une retraite plus solide, il faut épargner davantage. L'argent ne tombe pas du ciel.

Et surtout, il faut commencer au plus vite en surmontant les divergences politiques. Dans les années 90, la Suède, qui était dirigée par une coalition, a réussi une réforme encore plus radicale de son système de retraite.

Alors, tout est possible, même avec un gouvernement minoritaire.