Au Québec, le réseau routier tombe en ruine: la chaussée est pleine de nids de poule, les rues s'affaissent au centre-ville, les viaducs s'écroulent. Et quand on veut réparer les gâchis, les fameux cônes orange qui encombrent les routes font pester les automobilistes.

Mais ce n'est rien!

Même si cela ne saute pas aux yeux, notre système de retraite, lui aussi, craque de partout.

On le sait, mais on préfère détourner le regard et reporter les solutions à plus tard... sur le dos des jeunes.

Plus on attend, pire ce sera.

Le trou dans les régimes de retraite est bien pire qu'un nid de poule.

Le déficit des régimes de retraite sous la surveillance de la Régie des rentes du Québec (RRQ) a atteint 41 milliards à la fin de 2012, nous apprenait, hier soir, Alban D'Amours, lors d'une conférence organisée par Question Retraite.

Le président du comité d'experts qui se penche sur le système de retraite québécois depuis 18 mois a donné un avant-goût de son rapport qui sera dévoilé cet après-midi.

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Quarante et un milliards dans le rouge! C'est l'argent qui manque pour respecter toutes les promesses de retraite. Et on parle seulement des municipalités, des universités et des régimes de retraite privés.

Et les régimes des employés du gouvernement provincial n'entrent même pas dans les calculs!

Inutile de jouer à l'autruche, un trou de cette ampleur ne se bouchera pas tout seul. Certains espèrent encore que le problème se réglera de lui-même avec une embellie boursière ou une remontée des taux d'intérêt. Mais ça relève de la pensée magique, estime M. D'Amours.

Il faut arrêter de pelleter en avant. «Nous ne pouvons pas transférer les déficits aux générations futures», affirme l'économiste qui a dirigé le Mouvement Desjardins jusqu'en 2008. Ça fait plaisir à entendre.

L'équité intergénérationnelle sera au coeur des recommandations que son comité présentera aujourd'hui. «Les jeunes, et je les comprends, refuseront de payer pour les retraites de ceux qui les ont précédés sans rien obtenir en retour», confiait M. D'Amours, hier.

Au-delà du trou de 41 milliards dans les régimes de retraite à prestations déterminées, il y a un autre trou dont on parle encore moins. Il s'agit du gigantesque déficit d'épargne d'une large part de la classe moyenne.

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À travers le monde, la couverture des régimes à prestations déterminées a réduit comme une peau de chagrin. Au Québec, ces régimes ne couvrent plus que 35% des travailleurs, dont les deux tiers sont dans la fonction publique. Dans le privé, les employeurs les ont abandonnés les uns après les autres.

Aujourd'hui, près de deux millions de Québécois se retrouvent sans aucun régime de retraite avec leur employeur. Très souvent, ce sont des jeunes qui sont à leur compte ou des gens qui travaillent dans des PME.

Autrement dit, la moitié des travailleurs du Québec sont complètement laissés à eux-mêmes pour la planification de leur retraite.

Parmi eux, plusieurs se fient encore à l'État providence. Or, les régimes publics n'offrent qu'un strict minimum. Les travailleurs qui gagnent plus que 25 000$ par année doivent mettre l'épaule à la roue, sinon ils subiront une baisse marquée de leur niveau de vie à la retraite.

Le problème est particulièrement marqué pour les familles mieux nanties. Ainsi, la moitié des ménages qui gagnent de 67 000 à 92 000$ n'auront pas assez d'épargne pour maintenir un niveau de vie décent à la retraite, estime la RRQ.

Ça ne tient pas la route!

Pour aider les travailleurs qui n'ont pas de régime de retraite, le gouvernement libéral avait décidé de mettre en place le Régime volontaire d'épargne-retraite (RVER).

Il s'agit d'un pas dans la bonne direction, même si le RVER a des défauts. Or, le gouvernement Marois attendait le rapport D'Amours pour mettre le RVER sur les rails.

Mais à entendre Alban D'Amours, hier, le comité semble plutôt miser sur la relance des régimes à prestations déterminées qui «devraient être offerts au plus grand nombre, si possible.»

Une telle vision va à contresens de la tendance mondiale. Mais M. D'Amours rappelle que les régimes à prestations déterminées sont les seuls à pouvoir gérer le risque de longévité, c'est-à-dire le risque d'épuiser ses économies avant sa mort.

Pour aider les retraités à gérer ce risque, on sait déjà que le comité recommandera la création d'une rente qui serait versée à partir de 75 ans à tous les Québécois. C'est un nouveau pilier qui s'ajouterait à notre système de retraite.

Voilà tout un chantier en perspective! Oui, il y aura des cônes orange. Oui, ça coûtera cher. Mais a-t-on le choix? Il faudra cotiser davantage si on veut une retraite mieux garnie.

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LES EXPERTS

Les membres du Comité d'experts sur l'avenir du système de retraite québécois proviennent du monde des affaires ou du monde universitaire, mais ils ont un point commun: une longue expérience dans le domaine des régimes de retraite.

Alban D'Amours

Il a été professeur et directeur de département à l'Université de Sherbrooke avant de devenir sous-ministre du Revenu et sous-ministre associé à l'Énergie au gouvernement du Québec. Il a été président et chef de la direction du Mouvement Desjardins de 2000 à 2008.

René Beaudry

Cofondateur de la firme Normandin Beaudry, cet actuaire a acquis une expertise dans la capitalisation des régimes de retraite.

Luc Godbout

Directeur du département de fiscalité à l'Université de Sherbrooke, il a mené des recherches sur les conséquences du vieillissement de la population québécoise sur les finances publiques.

Claude Lamoureux

Après avoir exercé diverses fonctions de cadre à La Métropolitaine, il a présidé le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario (Teachers') de 1990 à 2007.

Maurice Marchon

Professeur à HEC Montréal, il se spécialise dans la macroéconomie, les finances publiques et l'analyse de la conjoncture.

Bernard Morency

Après plus de 30 ans chez Mercer, il est passé à la Caisse de dépôt et placement du Québec où il occupe le poste de premier vice-président, déposants, stratégie et chef des opérations.

Martin Rochette

Associé principal chez Norton Rose, il se consacre aux aspects juridiques des avantages sociaux des employés, principalement les régimes de retraite.

- Marie Tison