Ni vu ni connu, Ottawa veut prélever une nouvelle taxe invisible qui pourrait faire grimper le prix d'une foule de produits de consommation, dès l'an prochain.

Le gouvernement Harper aurait voulu que ce changement majeur passe inaperçu qu'il n'aurait pas fait mieux. L'avis de consultation a été publié dans la Gazette du Canada le samedi 22 décembre, alors que les Canadiens s'affairaient à terminer leurs achats de Noël.

Comme personne n'a entendu parler des changements au Canada, c'est le consulat de la Turquie qui a alerté Ceratec, à la mi-janvier. Le plus grand importateur de céramique au Québec a ainsi appris que ses droits de douane pourraient grimper de 0% à 8%, à partir de juillet 2014, parce que le Canada veut rayer la Turquie de la liste des pays qui ont droit à un tarif préférentiel.

«Cette augmentation nous forcera à augmenter nos prix ou à fortement diminuer nos marges», avance Maxime Bérubé, analyste chez Ceratec. Selon lui, les consommateurs finiront par payer leur céramique 5% plus cher au Canada.

Mais le changement aura des répercussions beaucoup plus larges. Toutes les entreprises qui importent des produits au Canada risquent de se heurter à de nouveaux tarifs, allant parfois jusqu'à 18%.

En fait, Ottawa veut retirer le tarif préférentiel à 72 pays qui acheminent 15 milliards de dollars de marchandise par année au Canada, en vertu de cette entente.

Instauré en 1974, ce régime voulait favoriser l'essor économique de pays en développement en éliminant des droits de douane sur une grande partie des produits qu'ils vendent chez nous, à l'exception du textile, des chaussures et de certains produits agricoles.

Sans contredit, la liste des 175 pays «en développement» mérite d'être dépoussiérée. On y trouve la Chine, le Brésil, l'Inde et la Russie, les fameux pays du BRIC qui forment le G7 de demain. On y trouve aussi des pays développés, comme Singapour et Hong-Kong, ainsi que des Tigres asiatiques comme la Corée du Sud et l'Indonésie.

Le monde a changé depuis 1974. Ces pays sont devenus la manufacture de la planète. Il est maintenant difficile de justifier que la Chine, deuxième puissance économique mondiale, jouisse encore d'un statut de pays en développement.

Parallèlement, le Canada mène des négociations de libre-échange avec plusieurs pays, dont la Turquie, la Corée, l'Inde et Singapour. En leur retirant leur tarif préférentiel, on imagine bien qu'Ottawa aura une meilleure monnaie d'échange dans le cadre de ces pourparlers. Éventuellement, cela pourrait permettre d'éliminer les barrières tarifaires pour des exportateurs canadiens qui veulent vendre leurs produits dans ces pays.

Sauf que les négociations peuvent s'éterniser. Et même après la signature, il faut souvent attendre des années avant que l'accord entre en vigueur.

Pendant ce temps, les consommateurs canadiens subiront une hausse de prix sur plusieurs produits.

Un exemple? Les droits de douane s'élèvent à 16,5% sur des gants de hockey, alors qu'aux États-Unis, il n'y en a pas du tout, dénonce le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD).

Les tarifs plus élevés sont l'un des facteurs qui expliquent que les produits coûtent plus cher au Canada qu'aux États-Unis, démontre justement le comité sénatorial permanent des finances nationales qui a remis son rapport hier après-midi.

Déjà, les consommateurs canadiens ont l'impression de se faire avoir, comme le dit le sénateur Larry Smith.

Si Ottawa ajoute de nouveaux tarifs, l'écart de prix entre le Canada et les États-Unis ne fera que s'accentuer. Et les Canadiens qui peuvent facilement comparer les prix sur l'internet auront encore plus envie d'aller magasiner chez leurs voisins. Est-ce vraiment l'effet recherché?

D'autre part, il est inutile d'ériger de nouvelles barrières tarifaires pour protéger des industries qui sont complètement disparues du Canada, comme la céramique où il n'y a plus aucun manufacturier, explique Ceratec.

Pour cette raison, le CCCD croit qu'il faudrait abolir les tarifs sur les marchandises qui ne sont plus fabriquées au Canada, avant la mise en oeuvre des changements au tarif préférentiel.

Parmi ses quatre recommandations pour réduire l'écart de prix entre le Canada et les États-Unis, le Sénat suggère aussi à Ottawa d'entreprendre un examen exhaustif des droits de douane.

Mais il faudra faire vite. Ottawa attend les commentaires de l'industrie d'ici le 15 février. Cela laisse moins de deux semaines pour analyser une question extrêmement complexe. Selon le ministère des Finances, il existe 8192 catégories de droits au Canada et chacune compte 18 traitements tarifaires. Ouf! Bonne chance...

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EXEMPLES DE DROITS DE DOUANE

18%

ROBES, CHEMISES, PANTALONS, T-SHIRT EN COTON

17,5%

CHAUSSURES DE SOCCER

17%

SERVIETTES EN COTON

15,5%

GANTS DE CUIR POUR LE GOLF OU LE BASEBALL

14%

OREILLERS

9,5%

AMEUBLEMENT DE CHAMBRE À COUCHER EN BOIS

7%

STYLOS À BILLE, MARQUEURS

6,5%

CAHIERS À ANNEAUX