Nous voilà à Kennebunk, encore une fois, les cinq Laporte : mon père, ma mère, mon frère, ma soeur et moi. C'est là que nous passons nos vacances estivales, année après année. Une toute petite semaine. Du samedi au samedi. D'habitude, nous sommes chanceux et il fait beau durant tout le séjour. De notre entrée côté mer à notre sortie côté cour. Pas cette fois. Première journée, il fait gris et froid. On sort nos valises de l'auto, abasourdis. On dirait qu'on n'est pas au bon endroit. On s'est trompés de destination. On s'en allait au soleil, et on arrive à la pluie.

Ma mère nous dit : « Inquiétez-vous pas les enfants, ça va passer. Demain, il fera beau. » Un petit cottage de motel, quand tu es toujours dehors, c'est plaisant. Quand tu es toujours dedans, c'est ordinaire. On est un peu à l'étroit.

Mon père ronfle sur le sofa. Ma mère lit sur le fauteuil. Ma soeur dessine sur la table de la cuisine. Mon frère essaie d'enlever la neige dans la télé. Et moi, je regarde dehors. Il pleut à boire debout.

On dirait que la mer a changé de place. Au lieu de s'étendre à l'horizontale, elle se répand à la verticale. Au lieu de nous caresser les jambes, elle se déverse sur notre tête.

Quoi faire par un temps pareil ? Si, au moins, nos chères tantes, Tantôt et Marie-Laure, étaient nos hôtes comme elles le sont toujours, on se ferait bercer chez elles. Mais cette année, au lieu de s'installer dans le Maine, elles sont parties en Grèce. Est-ce pour ça que le ciel est si triste ?

La route nous a tous un peu amortis. On décide de se coucher tôt. En espérant que demain, tout sera revenu à la normale. Et que le soleil reprendra sa job d'été, celle de nous griller.

Aucun ne l'avouera, mais tous les vacanciers, durant les années 70, ont le même but : devenir brun. C'est une véritable obsession. On se met de l'huile pour bébé, du Coppertone, de la graisse à la noix de coco, pas pour se protéger, au contraire, pour cuire encore plus vite. Comme une tranche de bacon dans la poêle. Le succès de nos vacances se mesure par la réussite de notre bronzage. Plus vous êtes brun, plus votre voyage était merveilleux. Plus vous êtes brun, plus les gens autour de vous sont verts de jalousie. Le summum du bonheur, c'est entendre un ami s'exclamer en vous voyant : « T'es donc ben brun ! » Yes ! Et plus vous êtes brun, plus vous séduisez le sexe opposé. Bernard Adamus a raison. Brun est la couleur de l'amour.

Dimanche matin, nous sommes toujours blancs comme du lait. Il pleut encore plus fort que la veille. On déjeune lentement. Au moins, ça occupe. La dernière toast avalée, on pense déjà à préparer le dîner. Ma mère secoue notre léthargie : « Tout le monde dans la voiture, on s'en va à la plage ! » Faut vouloir. Il n'y a pas une serviette à la plage. Que du vent et de la pluie. De temps en temps, un coup de tonnerre. Ma mère remet ça : « Venez vous baigner ! L'eau est plus chaude quand il pleut. » C'est pas l'eau qui est plus chaude, c'est tout ce qu'il y a autour qui est plus froid, c'est pour ça qu'elle semble moins froide que lorsque tout ce qui est autour est brûlant.

Ma soeur regarde ma mère nager, en grelottant dans son coton ouaté. Mon frère et moi, on essaie de jouer au frisbee. Ce serait plus facile si on se lançait un piano. Mon père nous attend dans l'auto. D'habitude, on s'amuse devant l'Atlantique, durant huit bonnes heures. Aujourd'hui, après 45 minutes, on en a assez. On court rejoindre la Chevrolet de mon père. Il allume la chaufferette pour réchauffer notre intrépide mère.

On s'en va au village, perdre un peu de temps. Il y a la maison de bonbons, la vieille librairie et l'épicerie. On visite les trois. On revient au motel avec des bâtons forts, des gelées, des Turtles au caramel, des vieux livres, du pain et de la salade. Il est 15 h et on serait déjà prêts pour souper.

Mon père s'allonge sur le sofa, ma mère fait sécher son maillot, ma soeur écrit déjà ses cartes postales, mon frère joue avec les oreilles de lapin de la télé, et moi, j'écoute sur mon magnétophone une cassette de B.J. Thomas : Raindrops keep falling on my head...

Soudain ma soeur dit : « Et si on jouait au Monopoly ! ? » Ma soeur n'aime pas jouer au Monopoly. Faut vraiment qu'il n'y ait rien à faire pour qu'on en soit rendus là. Le Monopoly est un jeu de société où il n'y a qu'une seule personne qui s'amuse. Les autres font faillite. Rien de très réjouissant. Aujourd'hui, c'est mon frère, le fossoyeur. Il a la Promenade, l'Avenue du Parc, les trois verts et les chemins de fer. Vaut mieux marcher sous la pluie que de marcher dans sa rue. On sort tous dehors, voir si dans les rochers, on aperçoit le soleil se coucher. Mais le soleil découche. Il doit être en Europe ou en Asie. Une chose est sûre, il n'est pas ici. Il est parti. Et pour un bout.

Ma mère arrête au magasin général acheter un casse-tête à 5000 morceaux. Un beau paysage ensoleillé. Ça va occuper les dernières journées.

Samedi matin, c'est le temps de rentrer. Bien sûr, le soleil en profite pour se pointer. Trop tard. Papa veut être à Montréal avant qu'il fasse noir. Il est midi et on est déjà partis.

On n'a pas de photos de ces vacances tombées à l'eau. Mais j'en garde un doux souvenir. Celui d'une semaine passée les cinq dans la même pièce. Collés. Il n'y avait pas de soleil. Mais il y avait quelque chose d'aussi grand, d'aussi chaud : une famille unie. Beau temps, mauvais temps. Une famille ensemble, pendant qu'il en était encore temps.

Bonnes vacances à toutes les familles !