Vendredi. Le 15 janvier 2016. Un attentat, un autre, s'est produit sur la planète Terre. Cette fois, ce n'était ni à New York ni à Paris. C'était à Ouagadougou, au Burkina Faso. Vous vous en souvenez ? Celui-là, oui.

Normalement, les attentats qui ont lieu dans des villes que l'on connaît peu, on les oublie rapidement. Une mention dans le bulletin d'information du soir, et puis c'est tout. On enchaîne avec l'autre manchette : que se passe-t-il avec le Canadien ? Cette fois, on n'a pas tourné la page tout de suite, parce qu'il y avait six Québécois au nombre des victimes. On en a parlé un peu plus. Mais pas assez.

Des terroristes djihadistes ont ouvert le feu au café-restaurant Cappuccino et à l'Hôtel Splendid. 30 morts. 70 blessés. Un carnage. Les six victimes québécoises sont Yves Carrier, sa fille Maude, sa conjointe Gladys Chamberland, leur fils Charles-Élie et leurs amis Louis Chabot et Suzanne Bernier. Ces gens sont des héros. Pas à cause de leur mort. À cause de leur vie.

Ils étaient travailleurs humanitaires. Ça prend un coeur de Superman pour être travailleur humanitaire. Tous les jours, nous faisons face à la misère humaine. Il y en a tellement qu'on se donne bonne conscience en se disant que nous ne pouvons rien y faire. C'est trop gros. C'est trop ancré. Ça fait partie de l'ADN de la société. Ç'a toujours été comme ça. Et ça le sera toujours. Alors, on ne fait rien. Alors, on continue notre chemin. 

Les travailleurs humanitaires ne pensent pas comme ça. Ils agissent. Au lieu de se fermer les yeux, ils se retroussent les manches. Ils vont là où ça va mal. Aider, soigner, enseigner, bâtir.

Ils ne font pas ça pour la reconnaissance. Ils en reçoivent peu. Ils n'en reçoivent pas. En tout cas, pas de nous. Qui, avant vendredi dernier, pouvait nommer six travailleurs humanitaires québécois ? Pourtant, s'il y a des êtres à donner en exemple, ce sont bien eux. C'est bien beau, gagner un Oscar ou la Coupe Stanley. C'est inspirant. Ça fait rêver. Mais construire une école au Burkina Faso, c'est un accomplissement encore plus grand. Ça fait mieux que rêver. Ça fait vivre.

On sait tous ça, mais ça ne nous empêche pas de les ignorer quand même.

On a un drôle de rapport avec les travailleurs humanitaires. On les admire, mais de très très loin. Au fond, pour dire vrai, ils nous énervent un peu. Parce qu'ils nous confrontent avec nos propres limites. Pourquoi on n'est pas comme eux ? Pourquoi on ne lâche pas tout, nous aussi, pour essayer de changer le monde ? Une école à la fois. Ils ont tellement l'air plus heureux que nous. Dans leur don de soi. Dans leur détachement.

Les travailleurs humanitaires nous font sentir coupables. Sans le savoir. Sans faire exprès. Ce qu'ils font est si grand, mais à la fois si simple. À la portée de tous. Suffit de le vouloir. De le décider. Dorénavant, ma vie, ce sera ça. Je vais aller aider le monde qui en a le plus besoin. À go, on part !

On voudrait bien, mais on n'y arrive pas. Trop de gens, trop de choses nous retiennent. Ça ne fait pas de nous de moins bonnes personnes. Le bien, ça peut se faire, au loin. Ça peut se faire aussi au près. Au près des gens qu'on aime. C'est parfois même plus compliqué, avec les gens qu'on aime.

Une extraordinaire famille de Lac-Beauport s'aimait assez pour aller aimer les autres. Des terroristes l'ont décimée. Pour rien. Mettons qu'on a un cerveau de terroriste. On veut tuer les exploitants. On veut tuer ceux qui représentent le péché. On veut tuer les frères ennemis. C'est abject, mais ça peut se justifier dans un cerveau fou. Mais tuer ceux qui viennent aider nos enfants, même dans un cerveau fou, ça ne se comprend pas. Tuer l'aide humanitaire, c'est reculer les frontières de l'insanité. Même dans les conflits les plus sanglants, on respectait la Croix-Rouge. Où s'en va-t-on ? En enfer ? On y est déjà.

Ce sont les travailleurs humanitaires qui ont raison. Si on veut changer le monde, faut pas attendre après Justin, Barack ou Poutine. Ce sont les humbles gens qui le feront.

Ça prenait un massacre pour que des travailleurs humanitaires fassent la manchette, alors que leurs accomplissements sont assez inspirants pour qu'on en parle tout le temps. De leur vivant.

Si on parlait autant des aidants que des assassins, tout irait bien mieux, ici-bas. Nous sommes ce que l'on raconte.