Mardi matin, c'est le jour J. Aussi attendu que le prochain Star Wars: le rapport de la commission Charbonneau. Avant la guerre des étoiles, la guerre des cônes orange.

France Charbonneau et Renaud Lachance entrent dans la salle avec des visages d'enterrement. On se dit, l'heure est grave. S'ils ont l'air aussi troublés, c'est sûrement parce qu'ils vont condamner avec véhémence la classe politique, les entrepreneurs et les syndicats. On ne rit pas avant de dire que l'État est corrompu.

Ben non, toi! S'ils ont la mine piteuse, c'est parce qu'ils se sont chicanés. Entre eux. France Charbonneau et Renaud Lachance sont les Michèle Richard et Serge Laprade des commissions d'enquête. Peut-être se réconcilieront-ils aux Gémeaux, dans 20 ans? Et comme dans le duo de Garden Party, c'est la femme qui porte les culottes.

La juge Charbonneau a affirmé, dans son ouvrage, qu'il y avait probablement un rapport entre le financement des partis politiques et l'octroi de contrats de construction aux entrepreneurs. Je te paie ta campagne, tu me donnes ta ville.

Le procureur Renaud Lachance affirme, pour sa part, qu'on ne peut affirmer qu'il y a un rapport entre le financement des partis politiques et l'octroi de contrats de construction aux entrepreneurs. Bref, l'une dit noir, l'autre dit blanc. Je ne savais pas que les rapports pouvaient s'annuler. Imaginez si la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, nommée Bouchard-Taylor, avait été la commission Drouin-Taylor. Au lieu que ce soit l'éminent intellectuel Gérard Bouchard qui y siège, on aurait donné le mandat au conseiller municipal d'Hérouxville, André Drouin, de faire équipe avec Charles Taylor. Le rapport aurait été dissident, aussi. Ou si la commission Gomery avait été la commission Chrétien-Gomery, peu de chance qu'on y aurait retrouvé une belle unanimité.

La critique du rapport Charbonneau, elle, est unanime: l'émission était meilleure que le livre. D'habitude, c'est toujours l'inverse. Le livre est toujours meilleur que le film, toujours meilleur que le show. Pas dans le cas de la commission Charbonneau. On s'est régalé de la série télé, on s'ennuie avec la version écrite.

Cela dit, je me demande si tous les commentateurs qui ont conspué le rapport l'ont vraiment lu. Au complet. D'un couvert à l'autre. Les 1741 pages. Peu probable. Surtout qu'ils se sont mis à l'analyser 5 minutes après son dépôt.

Il est d'usage, lorsqu'un organisme officiel dépose une brique de cette ampleur, que l'on réunisse, quelques heures avant, les journalistes à huis clos, pour leur expliquer le contenu, leur permettre de parcourir les chapitres, leur montrer quoi souligner en jaune. On ne l'a pas fait dans le cas du rapport de la commission Charbonneau.

France Charbonneau en a dit quelques mots, pis si vous voulez en savoir plus, ben lisez-le, les smattes! Les smattes n'ont pas trouvé ça drôle. Guerre et paix de Tolstoï compte 1650 pages. Un lecteur déterminé peut espérer en finir la lecture avant le jour de l'An. Le rapport Charbonneau en compte 1741; humainement, vous pouvez difficilement le traverser avant 2016. Les commentateurs ne peuvent pas attendre un mois avant de le commenter. Plus personne ne va les écouter. Alors ils disent tous, cette semaine, qu'ils l'ont parcouru en diagonale. Méchante diagonale de fou! En moins de 10 heures, on croulait sous les opinions et les condamnations: «Ce rapport ne va pas assez loin. Ce rapport n'a rien de croustillant.» En êtes-vous certain? Comment pouvez-vous être assuré qu'à la page 869, en bas à gauche, France Charbonneau n'avoue pas qu'elle a fantasmé durant toute la durée de la Commission sur Tony Accurso? Si vous n'avez pas lu chaque ligne, vous êtes peut-être passé à côté de ce détail croustillant.

J'entends des lecteurs rétorquer: «Toi le comique, tu te gênes pas pour en parler, et tu l'as pas plus lu.» Vrai. Mais c'est ce que je m'apprête à faire, à l'instant. Suffit de se rendre sur le site de la CEIC. Heureusement, il n'est pas en construction! Haha! On clique, on imprime, et voilà, on a le rapport au bout des doigts. Le rapport commence par une page blanche avec juste le titre au bas. C'est pas un rapport sur l'environnement, c'est un rapport sur la construction. Amenez-en, des arbres! Puis suit une lettre adressée à Monsieur Juan Roberto Iglesias, un des rares Iglesias pas connus. Après il y a la table des matières des tomes. Et une page, cette fois, complètement blanche. Finalement, ce ne sera pas si long à lire. Puis, une page pour indiquer que le tome 1 débute, suivie d'une autre page complètement blanche. À moins que ce soit une page pleine de Liquid Paper parce qu'elle contenait un échange agressif entre les deux commissaires. Après, il y a huit pages de table des matières juste pour le tome 1. On a déjà 14 pages parcourues et on n'a rien appris encore. Ça va bien. Après il y a le mot de la présidente qui est quand même un mot de cinq pages. C'est un peu comme un discours à l'ADISQ, elle remercie plein de monde. Même Serge Laprade. Après, bien sûr, il y a une autre page blanche. Ça doit être le mot de Renaud Lachance. Puis une page pour seulement écrire: Partie 1 La Commission. Au cas, où l'on aurait déjà oublié ce que l'on est en train de lire. Puis une page avec une sorte d'avertissement, comme pour les films un peu osés. Et une page avec le titre du chapitre un. Et là, on arrive au prélude. Ben oui! C'est pas assez, 24 pages d'introduction, ça prend un prélude en plus. La pagination nous dit qu'on est rendu à la page 4. Il y a 20 pages qui ne comptaient pas, ils n'auraient pas pu le dire plus tôt? Votre rapport, est-ce qu'il fait 1741 pages ou 1761 pages!?

Bon, ne nous décourageons pas. Après tout, presque tout le texte du chapitre 3 sur Laval est caché. On a beau gratter la page, on ne gagne rien. Même pas du cash dans sa cuvette. Il me reste environ 1500 pages à lire. On a un long hiver devant nous. La suite de cette chronique devrait être publiée avant la fin du nouveau contrat de Marc Bergevin.

Bonne lecture à vous aussi!