C'est une petite voix que j'entends, depuis mercredi, dans le désert de ma tête, une petite voix qui me demande : Dessine-moi un espoir ! J'aimerais bien, mais on dessine ça comment un espoir, quand on vient de voir des gens se faire tuer à cause de leurs dessins ?

On dessine un soleil ? Un gros soleil. Un rond jaune avec plein de lignes autour. De nos jours, le soleil, ce n'est plus l'espoir. Le soleil, c'est le danger. C'est la folie des hommes qui a transformé l'astre de la vie en bombe à retardement, à cause de leur fumée. De leur progrès. De leur argent.

On dessine une maison ? Un carré avec un triangle par-dessus pour faire le toit. Une porte et deux fenêtres. Et on se dit que dans la maison, il y a des gens heureux. Mais s'ils ne l'étaient pas ? Il y a tellement de maisons avec des habitants malheureux dedans. Avec des frères qui méprisent les maisons qui les entourent. Et qui débarquent dans l'une d'elles, pour commettre l'irréparable.

On dessine un coeur ? Un grand coeur. Et on le colore tout rouge pour qu'il ne soit pas vide. Parce qu'il n'y a rien de plus triste qu'un coeur vide. Mais un coeur tout rouge, ça devient un coeur qui saigne. L'amour et le sang ont la même couleur. Et c'est toujours pour le premier que coule le second.

On dessine une fleur ? Un rond, des pétales autour et une tige. C'est beau, une fleur. Mais aujourd'hui, impossible d'en voir une, sans penser qu'il y a un mort en dessous. Comme toutes ces fleurs laissées sur le trottoir devant le 10, rue Nicolas-Appert. J'ai peur qu'un jour, il n'y ait plus assez de fleurs pour tous les morts que l'on fait.

On dessine un bonhomme allumette ? Un rond pour la tête, une ligne pour le corps, deux lignes pour les jambes, deux lignes pour les bras. Un être humain, ça devrait être ça, le symbole de l'espoir. Pourtant, il n'y a rien de plus désespérant qu'un être humain. Il peut tuer son voisin parce qu'il n'aime pas son dessin.

L'espoir, c'est croire que demain, ça ira mieux. Que demain, le monde sera meilleur. Les journalistes de Charlie Hebdo le croyaient. C'est pour ça qu'ils se tenaient debout. C'est pour ça qu'ils riaient. On leur a fait peur. Ça n'a rien changé. La peur n'a pas eu raison de leur foi en l'homme. Ils sont restés debout. Ils ont continué à rire. Des vrais. Pour tuer leur espoir, il fallait les tuer. C'est ce que des fous ont fait.

Et nous qui assistons à ça, nous qui ne sommes pas aussi braves que les victimes ni aussi lâches que les agresseurs, comment on fait pour continuer de croire qu'un jour, ça ira mieux ? Quand les plus convaincus sont partis à cause de leurs convictions. Et que la tuerie se poursuit, le lendemain ?

C'est l'ultime but des terroristes : tuer l'espoir. Ils veulent rendre tout le monde semblable à eux. Il n'y a, en eux, aucun espoir. C'est pour ça qu'ils sont prêts à tuer. C'est pour ça qu'ils sont prêts à mourir. L'espoir fait vivre. L'absence d'espoir fait tuer.

Pourquoi en sont-ils rendus là ? Sûrement à cause des hommes. D'autres hommes. Désespérés avant eux. Et la roue tourne. Gigantesque. Et elle écrase tous ceux qui ont le malheur d'être sur son chemin.

Bien sûr, la solidarité qui naît après l'horreur est émouvante. Ça réconforte. Nous sommes tous Charlie. C'est joli. Mais un coup que c'est dit, qu'est-ce qu'on fait ? On redevient Stéphane, Martine ou François. Et on pense à soi. En premier.

Comment rester Charlie ?

Depuis mercredi, j'ai la tête comme un désert. Vidée de mes repères. Vidée de mes beautés. Chaque fois que l'homme est un loup pour l'homme, ça m'anéantit. Vous aussi.

Et l'enfant en moi qui supplie : Dessine-moi un espoir ! Dessine-moi un espoir !

Mon soleil, ma maison, mon coeur, ma fleur, mon bonhomme n'ont pas fait l'affaire. Je m'essaie une dernière fois. Je prends une feuille blanche. Et je n'y dessine rien. Je lui tends.

Tiens mon enfant, c'est ça l'espoir.

Une page blanche. Il la prend. Il est content. Il comprend.

L'espoir est une page blanche. Tant que la page est blanche, il est permis de croire que l'on va faire le plus beau des dessins. Tellement beau qu'il nous rendra heureux.

Si on tournait la page de nos marques et de nos blessures...

Si on avait tous devant nous, une page blanche...