Si vous avez le temps, ce matin, de lire seulement une chronique et que vous n'avez pas lu celle de Michèle Ouimet publiée jeudi dernier dans La Presse, oubliez la mienne et allez lire La honte sur votre tablette ou votre ordinateur.

Quarante ans après avoir été violée par deux hommes armés, la grande journaliste brise le silence. Son texte est un morceau de son âme. 

C'est rare qu'on lit ça, un morceau d'âme. Ce n'est pas une confession faite pour se soulager. C'est un cri du coeur fait pour encourager. Encourager, comme dans donner du courage à toutes ces filles et ces femmes agressées qui n'osent pas parler. Il s'inscrit dans le mouvement enclenché conjointement par la journaliste du Toronto Star Antonia Zerbisias et la journaliste de The Gazette Sue Montgomery, qui ont créé le mot-clic sur Twitter #BeenRapedNeverReported, pour que les femmes cessent de taire leur terrible secret. C'est leur façon proactive de réagir à l'affaire Ghomeshi, cette star de la CBC qui fait l'objet d'allégations d'agressions sexuelles. Il aurait profité trop longtemps du fait que ses victimes avaient peur de parler.

C'est le côté malsain des crimes sexuels; les victimes se sentent plus coupables que les criminels. Les salauds se prennent pour des playboys, tandis que les agressées se sentent comme des traînées.

Les temps semblent être en train de changer. Sur mon fil Twitter, des dizaines de femmes révèlent les agressions qu'elles ont subies, en ajoutant à la fin de leurs révélations le mot-clic #AgressionNonDénoncée. Elles n'ont plus honte. Et cette honte, elles la retournent à leurs destinataires, leurs agresseurs. C'est à eux qu'elle appartient, même s'ils n'ont pas le coeur pour l'accepter.

Le mur du silence, c'est comme le mur de Berlin, il faut être plusieurs pour le jeter par terre. On peut bien critiquer les médias sociaux, mais sans eux, toutes ces femmes isolées n'auraient su se trouver et s'appuyer les unes les autres pour sauter le mur.

Et nous, les hommes, que fait-on pendant que les femmes parlent? On écoute, mais encore? Y a des cons qui réagissent en écrivant des conneries dans le style tu l'as cherché. Misère. Mais les autres, les pas cons, vous et moi, on fait quoi?

D'abord, avouons que toutes ces dénonciations nous choquent, mais ne nous étonnent pas. On le sait qu'ils sont nombreux, les cochons, parmi nous. (En passant, c'est insulter les cochons que d'appeler ainsi les harceleurs.)

Bien sûr, nous ne sommes pas coupables par association des gestes de ces monstres simplement parce que nous avons le même sexe. Mais nous sommes tous coupables du silence qui entoure leurs actions. 

Les Gomeshi, les DSK de ce monde sont souvent one of the boys. Si les rumeurs couraient qu'ils agressent physiquement leurs confrères, on les prendrait au sérieux dès qu'elles circuleraient. On n'a pas le même réflexe quand il s'agit de ce qu'ils appellent leurs coups. Soudain, ce n'est pas de nos affaires. Pourtant, si. Un être répugnant ne devient pas un être répugnant parce qu'il voit une paire de cuisses. Il l'est tout le temps. Répugnant. Quelqu'un capable de prendre par la force ce qu'on lui refuse est un malade que tout le monde doit dénoncer. Pas seulement celles qui ont eu le malheur de subir ses attaques.

Les colleux, les taponneux, les injurieux avec les femmes, les hommes savent aussi qui ils sont. Au lieu de faire comme les trois petits singes en se fermant les yeux, les oreilles et la bouche, il faut s'interposer, il faut les mettre à l'écart. 

Ce n'est pas vrai qu'un agresseur sexuel va être le type le plus populaire de sa gang de boys. Ce n'est pas vrai que ce n'est pas nos affaires. Les propos sexistes, les propos qui rabaissent les femmes, les termes abjects pour les décrire, il ne faut pas les tolérer. Il faut les dénoncer haut et fort. Qu'on soit dans le vestiaire, à la Cage aux Sports ou au bureau, c'est toute la culture du mâle prédateur qu'il faut refuser. La consoeur n'a pas un cul et des boules. La consoeur est notre égale et on la respecte autant qu'elle soit là ou pas. Y a des gars qui se forcent à parler cru, à user de mots vulgaires pour être acceptés par les autres gars. C'est l'inverse qui devrait se passer.

Pour que les dénonciations surviennent dès que les gestes sont faits, il faut que les victimes d'agressions sexuelles sentent que les hommes veulent autant leur venir en aide que si elles étaient victimes d'un autre drame. C'est l'indifférence qui enferme dans le silence.

Il ne faut pas attendre 10 ans pour dénoncer les gros vicieux du prochain party de Noël. Il faut le faire tout de suite, dès que ça passe. Faut que les autres gars écoutent. Il faut que les autres gars s'indignent. La solidarité masculine, dans ces cas-là, c'est de la foutaise. Il n'y a qu'une seule solidarité qui tienne, c'est la solidarité humaine. Et elle doit toujours s'exprimer envers les agressées, pas les agresseurs.

Le silence est brisé, faut en profiter, parce qu'il se recolle plus vite que les âmes.