Mon père n'aime pas les vacances. Pour lui, ce sont de folles dépenses. Ma mère adore les vacances. Pour elle, c'est un cadeau de la Providence. Les négociations entre eux durent toute l'année.

Dès septembre, ma mère veut faire des réservations au motel Sleepy Hollow de Kennebunk pour la première semaine d'août; mon père lui dit d'attendre. Faut penser au budget. Il y a les galeries à repeindre. Peut-être l'Impala 65 à changer. Et puis, il y a les imprévus qu'on ne peut pas prévoir. L'argent des vacances pourrait servir à quelque chose de beaucoup plus utile. Le printemps arrivé, il n'y a toujours rien de réservé. Les discussions deviennent plus intenses. Mon père tient son bout. Il ne comprend pas le principe des vacances. Pourquoi se fatiguer à faire six heures de route pour aller se reposer? C'est beaucoup plus reposant de se reposer chez soi. On n'a que trois pas à faire pour s'allonger. De toute façon, avec la crise du pétrole, vaut mieux économiser. En mai, sa décision est prise: on reste à Balconville.

Ma mère ne se laisse pas démonter: «Très bien, reste ici, si tu veux, Tantôt et Marie-Laure ont loué un deux-pièces à Kennebunk, et elles nous invitent. Je vais y aller avec les enfants.» Tantôt et Marie-Laure, ce sont nos tantes préférées. Tantôt, c'est comme ça qu'on appelle la soeur de ma mère. Et Marie-Laure est sa meilleure amie depuis toujours. Deux femmes artistes qui vivent la bohème avec talent. Avec elles, tout est léger et parfumé.

Mon père est pris au piège. Il a trop d'orgueil pour laisser sa famille partir en autobus et squatter la chambre de sa belle-soeur. Il accepte que sa femme réserve le petit motel, en boudant.

Le premier samedi d'août arrivé, on embarque tous dans la vieille Impala pas encore changée. Mon père roule vers le Maine sans s'arrêter. Et sans dire un mot.

Mon père s'en va en vacances comme d'autres vont aux travaux forcés. Les enfants, en arrière, on est très sages, pour qu'il ne vire pas de bord.

Aussitôt à Kennebunk, on se rend chez Tantôt et Marie-Laure. C'est là que les vacances commencent. Elles nous accueillent en sautant dans les airs. Après six heures de silence, leurs rires et leurs cris de joie sont la plus belle des musiques. Le plus beau hit d'été. Elles sont belles, toutes bronzées! On s'embrasse, on s'enlace. Il n'y a rien de plus réjouissant que la mer et mes deux tantes.

Être en vacances seulement avec nos deux parents, cela serait un combat constant entre la rigueur et la liberté. Pas évident. Grâce à Tantôt et Marie-Laure, ma mère a l'avantage numérique. Il y a trois adultes pour nous entraîner dans leurs folies. Mon père n'a pas le choix, il suit.

On passe nos journées sur la plage, à se baigner et à se sécher, on pique-nique dans les rochers pour voir le soleil se coucher, on mange des maisons de bonbons. Marie-Laure est la meilleure cuisinière du monde. Chaque repas est une fête. Ma mère n'est pas seule à tout faire. Sa petite soeur prend soin d'elle. Et le soir, très tard, pendant que le tourne-disque joue du James Taylor, Tantôt joue dans les cheveux de ma soeur et Marie-Laure joue dans les miens, sur le lit. Mon frère Bertrand est rendu trop grand. Il lit des Bob Morane. Mon père dort sur la chaise d'osier. Et maman parle avec sa soeur. Des heures et des heures. Elles ont toujours quelque chose à se raconter.

Sept jours, c'est vite passé. Le samedi suivant, mon père met les bagages dans l'auto. Avec entrain. Il est le seul qui n'a pas le blues de l'océan. Nous, on ne veut plus partir d'ici. On y passerait toute notre vie. On n'arrête pas de dire au revoir à Tantôt et Marie-Laure. On n'arrête pas de les remercier. De les embrasser. Ce sont elles, nos vacances. On vient de passer une semaine dans leurs coeurs. Il n'y a rien de plus beau ailleurs. Merci, Tantôt! Merci, Marie-Laure! Mon père klaxonne, faut y aller. Ma soeur pleure, ma mère se retient. Mon frère est aussi trop grand pour ça. Et moi, je n'ai pas l'impression de partir. Je sais que ces souvenirs seront toujours avec moi.

Et ils le sont encore, des décennies plus tard. Pour moi, l'été, c'est Tantôt et Marie-Laure. Quand elles allaient à Kennebunk, nous allions à Kennebunk; quand elles allaient à Cape Cod, nous allions à Cape Cod; quand elles allaient à Narragansett, nous allions à Narragansett. C'est toujours grâce à elles si mon père finissait par plier. L'appel des sirènes, on ne peut y échapper. Elles sont le soleil et la mer de mon enfance. Ça avait beau durer seulement une semaine par année, ce sont ces semaines-là qui ont le plus compté.

Et même s'il faisait du boudin dans le temps, je suis sûr qu'au ciel, l'été, mon père s'installe à côté de Tantôt et qu'ils se rappellent les vacances en famille. Comme je fais avec vous, ici-bas. Faudrait bien que j'appelle Marie-Laure...

Bon été à tous! L'été, c'est comme l'amour, ça ne s'oublie pas.