Si le Stade olympique ne s'est pas écroulé, il y aura eu deux matchs de baseball professionnel à Montréal, ce week-end. Deux matchs à Montréal, mais entre une équipe de Toronto et une équipe de New York. À défaut de brioche, on se contente de pain à hotdog.

Ça va faire 10 ans qu'il n'y a pas de baseball majeur dans Coderretown. Dix ans sans coup de circuit, sans balle papillon, sans graine de tournesol, sans valderi et valdera. Dix ans sans ce sport particulier que les Américains appellent le passe-temps national. Contrairement aux autres sports, le temps, justement, y suspend son vol. Il n'y a pas de chronomètre au baseball. Pas de two minutes warning, pas de dernière minute jeu. Un match ne se termine que si le troisième retrait de la dernière manche est fait. Et ça, ça peut prendre trois heures, comme ça peut en prendre douze.

Le baseball est un jeu d'enfant. Tous les joueurs ressemblent à Charlie Brown et sa bande. Avec leur casquette croche, leurs genoux tachés de terre et leur air distrait quand ils jouent à la vache et attendent qu'une balle soit enfin frappée dans leur direction.

Le baseball n'est pas un sport de nerveux. On a le temps de se gratter la poche. On a le temps de faire tourner son bâton. Les spectateurs sont relaxes. On observe. On analyse. Comme un ornithologue scrutant des oiseaux. D'ailleurs c'est ce qu'ils sont: des Cardinals, des Orioles ou des Blue Jays.

Nous, les oiseaux qui venaient se poser dans notre parc, au printemps, s'appelaient les Expos. Un drôle de nom, les Expos. Faut dire que la franchise fut obtenue en 1967. Et que cette année-là, à Montréal, il n'y avait pas un plus beau mot qu'Expo. L'Exposition universelle battait son plein. Les Montréalais n'avaient qu'à prendre leur nouveau métro pour visiter le monde qui les visitait. Ce fut la plus belle des fêtes. Et le maire Drapeau a voulu qu'elle se poursuive au parc Jarry en 1968. Ce fut le cas durant bien des années. On n'allait pas au baseball voir les Expos gagner. On allait au baseball s'amuser.

Il y a plein d'équipe de sports qui se nomment les Tigres, les Lions, les Ailes, une seule s'appelle ou s'appelait Expos. Une équipe avec un logo psychédélique, une casquette tricolore. Les Expos sont nés dans les vapeurs de l'Expo 67, et ils en ont toujours gardé un air de cette époque. Une équipe de hippies. Une équipe de Bill Lee.

Dans la Ligue nationale de baseball, on parlait toujours des Expos avec un petit sourire en coin: The Montreal Expos, oh la la! C'était la première franchise à évoluer hors des États-Unis. Ça lui donnait un petit côté exotique. Il aura fallut un peu plus de 10 ans pour qu'on commence à la prendre au sérieux. Au début des années 80, les Expos étaient une équipe redoutable. Carter, Dawson, Raines, Valentine, Rogers...

Vous auriez dit aux 2 millions de personnes par saison qui franchissaient les tourniquets du Stade olympique qu'un jour les Expos disparaîtraient, personne ne vous aurait cru. Le baseball était solidement implanté à Montréal avec des racines remontant aux Royaux de Montréal et à Jackie Robinson. Là pour rester.

En 1994, les Expos avaient la meilleure fiche du baseball majeur. Puis la grève a éclaté. Et le rêve aussi. Amers, on n'allait plus au baseball pour s'amuser. On allait au baseball pour voir les Expos gagner. Et si ils ne gagnaient pas, on n'y allait pas. Les assistances ont diminué. Toute lune de miel finit par se cacher la face. Soudainement, les propriétaires sont devenus frileux.

Des pseudo-experts se sont mis à claironner que Montréal n'était pas une ville de baseball! Ben voyons donc! Si Montréal n'est pas une ville de baseball, Vienne n'est pas une ville de valse. Le baseball fait partie de notre histoire. Guillaume, le héros des Plouffe, c'était pas un joueur de hockey, c'était un joueur de balle, remarqué par les Reds de Cincinnati. À Montréal, il y avait deux saisons: le hockey et le baseball, l'hiver et l'été. Pas un enfant qui rangeait ses patins sans sortir sa balle, sa mite et son bâton. Même Stéphane Richer, le dernier compteur de 50 buts du CH, aimait mieux la balle-molle que le hockey!

Alors que s'est-il passé pour qu'aujourd'hui, notre ration de baseball soit deux matchs hors-concours entre les Mets et les Jays aux 10 ans? On s'est fait striker par des propriétaires sans scrupules. Des propriétaires qui ont vu dans les Expos une occasion d'affaire, une passe. Des propriétaires venant du sud n'ayant aucune attache avec la communauté. Le Québec inc. n'a pas bougé. Le gouvernement non plus. Pourtant, les Expos était le meilleur instrument promotionnel de la ville. D'avril à octobre, tous les bulletins de nouvelles de sports aux É.-U. nommaient Montréal, au moins une fois par jour. Qui connaîtrait la ville de Green Bay à Montréal, si les Packers n'existaient pas? Qui connaîtrait la ville de Montréal à San Diego, si les Expos n'avait pas existé?

Les Expos sont nés quand Montréal prenait sa place dans le monde. Quand Montréal était une ville phare de l'Amérique. Aujourd'hui, nous regardons New York et Toronto. Denis, fais quelque chose!