Jeudi soir, il est passé 23h, j'ose demander à ma blonde: «On le fait-tu avant de dormir?» À ma grande surprise, elle me répond: «Oui!» Ça va être la 18e fois qu'on le fait en moins de 15 jours.

Faire quoi? Regarder House of Cards.

House of Cards est une série dramatique qui raconte la soif de pouvoir du whip de la majorité à la Chambre des représentants du Congrès américain, Frank Underwood, interprété par Kevin Spacey. C'est la politique dans tout ce qu'elle a de plus malsain. Un trafic d'influence scandaleux. À côté de House of Cards, la commission Charbonneau, c'est Passe-Partout. Rien pour vous enlever votre désabusement envers les politiciens. Au contraire. Mais c'est bon. Super bon.

Bien écrit, bien joué, bien réalisé. Et surtout haletant. On veut savoir la suite. C'est le syndrome du bol de chips. On ne peut pas en prendre juste une. Il faut atteindre le fond. Le problème, c'est que le fond, c'est une journée complète devant l'écran. Non-stop. Je suis sûr qu'il y a des fous qui ont réussi le House-of-Cards-o-thon en 24 heures. Nous, on a débuté le 1er mars, et on avance allègrement dans la deuxième saison.

(Par respect pour tous les lecteurs qui ne sont pas rendus aussi loin que nous, je ne vous raconterai pas les punchs de l'intrigue, soyez sans crainte. Si vous ne connaissiez pas l'existence de House of Cards avant de lire cette chronique, vous êtes bénis, vous avez du gros fun devant vous. Il suffit de s'abonner à Netflix et de télécharger les épisodes.)

Ce qui me terrifie le plus dans cette série, c'est quand le héros Frank Underwood, homme à l'ambition shakespearienne, transgresse le quatrième mur et parle à la caméra. Il me parle à moi. Il partage avec moi ses pensées intimes. Comme si j'étais son ami, son complice. Je ne veux pas être l'ami ni le complice de Frank Underwood!!! C'est un être immonde. Mais je le deviens, malgré moi. La fascination des méchants. À côté de Frank, le bon vieux JR de Dallas a l'air de l'abbé Pierre. Kevin Spacey est juste trop bon. Il a créé un ignoble noble. Sa femme est tout aussi monstrueuse. Monstrueuse et séduisante. Une mante religieuse à vous faire damner. Quand on sort des jeux politiques sulfureux de la Maison-Blanche pour suivre la campagne électorale québécoise, c'est comme si on passait de l'enfer de Dante au village des Schtroumpfs. Tout semble si bon enfant.

Le générique du 18e épisode roule, il est passé minuit. Pas grave. Trop curieux, il faut se taper le 19e:

«On continue, Marie?»

Marie ne répond pas. Elle s'est déjà endormie, dès le fondu au noir de la dernière image. Merde! Je le regarderais bien tout seul, mais je n'ai pas le droit.

C'est une règle de couple que Marie-Pier et moi ne pouvons transgresser pour aucune raison: il est strictement défendu qu'un de nous deux regarde un House of Cards sans l'autre. Point de plaisir solitaire. Je ne peux en savoir plus que ma conjointe. Et vice-versa.

Je me fais une raison. Peut-être que demain matin, vers 5h, avant d'aller travailler, je pourrai convaincre ma blonde d'en regarder un ensemble. Quoi, il est permis de rêver! Surtout avant de dormir.

Une autre série, en ce moment, qui me procure autant de bonheur que House of Cards, c'est Série noire. La série la plus imaginative de la télé québécoise, écrite par François Létourneau et Jean-François Rivard, réalisée par Jean-Francois Rivard.

C'est intelligemment disjoncté. L'histoire de deux scénaristes paumés qui se mettent en danger dans la vraie vie, pour inspirer l'écriture de leur feuilleton. C'est Woody Allen qui rencontre John Carpenter. De l'absurde d'horreur. Du bonbon. Mais du bonbon qui goûte fort. C'est cru. Et c'est pour ça qu'on y croit. Il n'y a rien de fade. Même pas les personnages secondaires. Surtout pas les personnages secondaires. Marc Arcand pourrait avoir sa propre série, n'importe quand. Ça lui ferait tellement plaisir.

L'audience de Série noire n'est pas très vaste. Est-ce la faute de la campagne promotionnelle avant la première? D'une compétition trop féroce? Toujours est-il qu'il n'y avait pas foule lors du départ de la série, et comme c'est un train dans lequel on ne peut pas vraiment embarquer en marche tellement il roule vite, il n'y a pas plus de gens dedans depuis. Paraît que la deuxième saison est menacée. J'espère tellement qu'elle verra le jour.

Série noire est faite pour être consommée à la Netflix. Téléchargée en rafale. Dévorée. À notre rythme. Dans le trafic des chaînes de télé, ce n'est pas toujours évident de faire sa place.

Trois cent mille personnes suivent, le lundi soir à 21h sur Radio-Canada, les mésaventures de Denis et Patrick. Netflix est très discret sur les chiffres d'Audimat que font ses séries. Pour le service de vidéo à la demande, l'important, ce sont les abonnements. La presse spécialisée avance, tout de même, que 5 millions de personnes ont regardé, jusqu'à maintenant, House of Cards. On est unanime à dire que c'est un grand succès.

Cinq millions de personnes, c'est 1,5% de la population américaine. Trois cent mille personnes, c'est 3% de la population québécoise. Soit le double. Tout est relatif.

Une chose est sûre, ce sont deux séries originales qui gagnent à être connues.

Parfois, il faut juste laisser le temps agir, le mot se passer, pour que les choses arrivent.

House of Cards aura une troisième saison. J'espère que SérieNoire en aura une deuxième. Et une troisième aussi !