Durant toute la première décennie des années 2000, Peyton Manning, le quart-arrière des Colts, est le dieu d'Indianapolis. Membre de la dynastie des Manning, (son père Archie fut la gloire des Saints de La Nouvelle-Orléans et son jeune frère Eli est la vedette des Giants de New York) il est le plus décoré de la famille. Il remporte à quatre reprises le titre de joueur le plus utile de la NFL. Du jamais vu. Le 4 février 2007, il conduit les Colts à la conquête du Super Bowl contre les Bears de Chicago. La légende est complète. Totale.

Manning a commencé sa carrière à Indianapolis, c'est là qu'il la terminera sûrement. On ne chasse pas Dieu du paradis.

En 2010, Peyton connaît encore une saison exceptionnelle: 450 passes réussies, 33 touchés. Durant l'été, il est opéré au cou à cause d'une hernie discale. La blessure tarde à guérir. Après avoir été fidèle au poste lors de 208 matchs consécutifs, Manning est contraint de manquer toute la saison 2011.

Sans lui, les Colts ne tirent plus. Seulement 2 victoires en 16 parties. C'est la catastrophe! Les propriétaires, en bons hommes d'affaires, décident de préparer l'après-Manning. Diriger c'est prévoir. Les médecins de l'équipe ne sont guère optimistes sur les chances de guérison du numéro 18. Le quart doit subir deux opérations supplémentaires au cou. Il ne sent plus son bras droit, ce membre qui l'a porté au sommet de son sport. Plus personne ne croit aux chances de Manning de redevenir le héros qu'il était.

Être blessé au cou, quand tu es chroniqueur à La Presse ou vendeur d'assurances, c'est une chose, être blessé au cou quand ton travail est de te tenir bien droit sur un terrain, pour expédier un ballon dans les mains d'un receveur situé 50 verges plus loin, pendant que 11 mastodontes se ruent sur toi pour t'arracher la tête, c'en est une autre.

Les médias lancent la rumeur qu'il va prendre sa retraite. Les analystes lui proposent de se retirer en pleine gloire. Son équipe n'attend même pas qu'il le fasse. Elle le libère, le 6 mars 2012. Merci, bonsoir! Après 13 saisons complètes à Indianapolis, après avoir dominé le circuit, après avoir donné à cette ville son premier championnat majeur, il n'obtient même pas la chance d'essayer de regagner sa place. Les Colts veulent reconstruire l'équipe et on n'érige pas une nouvelle structure avec du bois mort. Celui que plusieurs considèrent comme le plus grand quart de l'Histoire n'a plus de boulot. Les Colts sont convaincus que s'il revient, il ne sera plus l'ombre de ce qu'il était. Alors, pourquoi le garder? Il coûte trop cher pour ce qu'il peut encore donner.

Manning s'est cassé le cou. Les Colts viennent de lui briser le coeur. Bien sûr, il ne fait pas pitié. Il a empoché assez de millions pour être à la retraite jusqu'à 10 000 ans. Mais Manning a 36 ans. C'est vieux pour un joueur de football, c'est jeune pour n'être plus qu'un souvenir. Peyton ne veut pas se retirer. Il veut continuer. Il veut encore gagner. Mais avec qui? On l'a chassé de la ville.

Heureusement, il y a d'autres équipes qui lui font de l'oeil. Des Manning, on s'en lasse seulement quand on en possède. Quand on n'en a pas, on rêve d'en avoir. Le 19 mars 2012, Peyton Manning se joint aux Broncos de Denver. Ils font le pari que l'étoile peut encore briller.

Les sceptiques sont nombreux. Combien d'athlètes ont essayé de prolonger leur carrière quelques saisons de trop, offrant un spectacle affligeant. Manning a des pièces de métal dans le cou, il ne va pas seulement faire sonner les détecteurs à l'aéroport, il va se faire sonner sur le terrain quand les équipes adverses vont l'écraser au sol.

Lors de son premier match après sa longue absence, Manning donne raison à ses détracteurs. Il lance trois interceptions et les Broncos perdent aux mains des Falcons. Les «je l'avais dit» fusent de partout. Les Colts ont bien agi. Il n'y a pas de place pour les sentiments. Pour les quarts finis, non plus.

Mais à partir de la quatrième semaine de la saison, Manning retrouve ses moyens. Son cou tient le coup. Denver remporte 11 victoires consécutives et décroche le titre de sa division. Peyton est redevenu Peyton.

Les experts s'opposent. On se calme! OK, il joue bien, mais ses grandes années sont derrière lui, quand même. Il ne fracasse plus tous les records, il ne conduit plus son équipe au Super Bowl.

Les esprits négatifs ont tellement de difficulté à admettre leurs torts! Pourtant, ils n'ont plus le choix. Cette année, Manning a fracassé tous les records: le plus grand nombre de gains par la passe et le plus grand nombre de touchés par la passe en une saison. Et ce, de tous les temps. Et son équipe est au Super Bowl.

Pour tous ceux qui se sont brisé le cou, au propre comme au figuré. Pour tous ceux à qui on a dit qu'ils n'en reviendraient pas, pour tous ceux à qui on a dit qu'ils étaient finis, et qui ont fait fi des autres, et qui sont revenus, et qui ont continué, je souhaite la victoire aux Broncos au Super Bowl.

Go, Peyton, go!