C'est une journée qui commence comme tous les samedis: doucement. La radio joue pendant qu'on s'étire. Aux nouvelles, ils disent qu'il y a eu une explosion à Lac-Mégantic. Ah bon!? Plus de détails à venir. Puis la musique reprend. On saute du lit. Allons profiter du soleil, depuis le temps qu'on l'attend.

Ma blonde et moi, on ramasse un chausson aux pommes et un carré aux dattes chez Première Moisson, et on va manger ça dans le parc Outremont. C'est notre routine du week-end. Un chapelet de petits moments plaisants. Des habitudes qui font que tout autour de nous semble exister depuis toujours et pour toujours. La vieille fontaine est de retour au milieu de l'étang. On est bien.

Marie-Pier reçoit un texto. C'est Pascale-Anne. Elles vont souper entre filles, ce soir, avec leur amie Mélanie. Pascale-Anne n'ira pas. Sa famille vient de Lac-Mégantic. Elle est trop bouleversée. Que se passe-t-il?

Nous retournons tranquillement à la maison. Avant de ressortir faire des courses, j'allume la télé pour en savoir plus. Et je vois un village qui brûle. Je ne ressortirai plus. Je veux rester là. Avec eux. J'écoute les témoins raconter la catastrophe et je tape mon émoi sur Twitter.

Les chaînes de nouvelles en continu, c'est comme si dans notre maison, il y avait toujours une fenêtre qui donnait chez un voisin où ça va mal. La plupart du temps, le voisin est en Afghanistan, en Irak, en Haïti, au Mali, des fois aux États-Unis. Cette fois, le voisin est tout près. Tellement près que j'ai l'impression de sentir le pétrole.

J'essaie de comprendre. Quand c'est une catastrophe causée par un tremblement de terre, un tsunami ou un ouragan, il n'y a rien à comprendre. C'est un «act of God». Ça nous dépasse. Cette fois, Dieu n'y est pour rien. Cela aurait pu ne pas arriver. C'était à notre hauteur. À hauteur d'hommes. Quelqu'un quelque part aurait pu faire quelque chose et ce drame aurait été évité. Comme les milliards de drames, chaque jour, qui ne se produisent pas, grâce à toutes ces voitures qui ne roulent pas trop vite, à tous ces avions dont les ailes sont bien dégivrées, à tous ces trains qui sont bien arrêtés, à tous ces produits dangereux bien surveillés, à tous ces humains qui font attention aux autres.

Devant mon écran, je rage comme la société de chemin de fer fantôme, même pas fichue d'avoir un peu d'humanité. Une personne normale fait son marché, elle pousse par inadvertance, avec son chariot, la personne devant elle. La fautive s'excuse, s'informe si l'autre est correcte, demande si elle peut faire quelque chose, se sent mal un petit peu.

Le train de la MMA a détruit un centre-ville et tué des dizaines de personnes, et l'entreprise n'est même pas la première à s'inquiéter. À vouloir réparer. Aucun réflexe d'entraide. Seulement le seul réflexe qu'elle connaisse: penser à elle. Sauver la business d'abord. Le réflexe des lâches: l'égoïsme. Ce qu'il y a de dramatique pour MMA, c'est que cet événement fait mal à l'entreprise, ce n'est pas le mal des gens qui ont perdu leurs proches et leurs maisons. La fausse sympathie du milieu de semaine est aussi révoltante que l'indifférence du week-end.

Il n'y a pas de peine plus douloureuse, plus lente à guérir, que celle qui s'accompagne de rage. La plaie de Lac-Mégantic sera vive longtemps. Heureusement que le gouvernement du Québec fait ce qu'il faut faire. On ne peut pas en dire autant du gouvernement canadien. Grouille-toi, Canada! Ta valeur de foi trempée est censée protéger nos foyers. En démocratie, chaque citoyen est aussi important que la reine. L'aurais-tu oublié? On ne peut pas laisser des wagons-bombes comme ça, sur une voie ferrée, sans surveillance, sans protection. Pas besoin d'être ministre pour savoir ça.

C'était un vendredi soir qui finissait comme tous les vendredis soir de beau temps: doucement. Si doucement que samedi était arrivé sans qu'on s'en rende compte. Partout, il y avait plein de gens sur les terrasses. À la terrasse du Musi-Café de Lac-Mégantic, aussi. Il y avait aussi des gens dans le bar. Ils buvaient, parlaient, riaient. Un chapelet de petits moments plaisants. Des habitudes, qui font que tout autour d'eux semblait exister depuis toujours et pour toujours. Mais des wagons se sont mis à exploser. Et le toujours s'est arrêté, à jamais.

Mourir en pleine vie, en plein petit bonheur, c'est la traîtrise du destin.

Être en vie est une chance, notre seule chance. À la fin de la journée, nous sommes tous des survivants. Nous l'oublions trop souvent. Pourquoi faut-il des trains de la mort pour nous le rappeler?

Aujourd'hui, nous retournerons sûrement, ma blonde et moi, petit-déjeuner dans le parc Outremont. En sachant que ce bonheur ne tient qu'à un fil. Le fil invisible qui nous unit tous, les uns aux autres. Qui nous unit tous à la vie.

Mes plus sincères condoléances aux familles éprouvées. Des pensées toutes spéciales aux parents de Geneviève Breton, Réal et Ginette, et à ses frères Jonathan et Sébastien. J'ai croisé votre Geneviève à quelques reprises, le temps de quelques auditions et d'un gala de Star Académie. De très courts moments, mais assez longs pour remarquer toute la lumière qui l'habitait. C'est cette lumière qui vous aidera, qui nous aidera, à sortir de la longue nuit du 6 juillet. L'amour de la vie.