L'infaillible

Aux nouvelles, Gaétan Montreuil vient d'annoncer que le pape Paul VI s'est prononcé contre la pilule. Ma tante Laure hausse les épaules: «Franchement!» Ma grand-mère s'emporte: «Tu sauras, ma fille, que si le pape est contre la pilule, il faut être contre la pilule, le pape est infaillible!» Je me retourne vers ma mère, les yeux grands: «Le pape est vraiment infaillible, maman?» D'un air résigné, elle me fait signe que oui.

Wow! Infaillible! Ce n'est pas rien. C'est un pouvoir de superhéros. Infaillible: qui ne peut se tromper. C'est écrit dans le dictionnaire. Le pape ne se trompe pas. S'il dit blanc, c'est blanc, s'il dit noir, c'est noir. S'il dit que ce soir le Canadien va blanchir Boston, le Canadien va blanchir Boston. Il est plogué directement avec Dieu. Le Créateur ne peut s'adresser aux milliards d'humains, il en a donc choisi un à qui il donne ses directives. L'être suprême est l'entrepreneur, le pape est le contremaître, et nous, les employés. Quand le pape parle, c'est le grand boss qui parle. Il faut écouter. Le pape a toujours raison.

Avoir toujours raison, quel beau métier! À 6 ans, c'était réglé, plus tard, je serais pape! Astérix était invincible, moi, je serai infaillible. Tant qu'à avoir de l'ambition, aussi bien viser le sommet. Sky's the limit! Mieux que ça, le ciel n'est même pas la limite d'un pape, il est au-delà de ça.

Pour devenir Stéphane 1er, il me fallait d'abord devenir prêtre. M'occuper d'une paroisse, faire des baptêmes, des mariages, des confessions et administrer mes brebis. Puis devenir cardinal et m'envoler pour Rome. Prier tellement fort que la fumée blanche me sorte par les oreilles. Et me voilà pape! Ça épaterait ma mère.

Ce plan de carrière m'a guidé durant six mois. J'ai chanté du John Littleton, j'ai écouté Second Regard, j'ai donné du pain aux oiseaux comme saint François d'Assise. Tout allait bien. Je me sanctifiais de jour en jour.

Puis Jinny est entrée dans ma vie. La blonde des mille et une nuits que l'astronaute Nelson avait trouvée dans une bouteille. Je la regardais tous les samedis à la télé. Les yeux encore plus grands que lorsque j'ai appris l'infaillibilité papale. Mon frère m'a expliqué que, pour asseoir mon derrière sur le Saint-Siège, il me fallait renoncer à toutes les Jinny de la Terre. C'était trop pour moi.

Ma vocation a sacré le camp. J'allais devenir astronaute. Pour ce métier là aussi, le ciel n'est pas une limite et il y a beaucoup plus de chances de rencontrer Jinny.

Je n'ai jamais regretté ma décision de ne pas devenir pape. Je me suis vite aperçu que le pape avait beau être infaillible, son pouvoir de conviction ne l'était pas. À part ma grand-mère, toutes les femmes continuaient de prendre la pilule, malgré sa directive. Et tous ses appels contre les relations sexuelles hors mariage n'avaient aucun effet sur la libido générale. Même pas sur celle de ses propres ouailles.

L'infaillibilité du pape n'impressionne plus les enfants d'aujourd'hui. On sait maintenant que le pape se trompe aussi souvent qu'un gouvernement péquiste, mais il a moins tendance à l'avouer.

Le pape Benoît XVI a réalisé qu'il n'était pas invincible non plus. Le grand âge et la lourde tâche ont eu raison de son sens du devoir et il a annoncé qu'il quitterait ses fonctions à la fin du mois. S'agit-il des vraies raisons? Seul Dieu le sait et le diable s'en doute.

Une chose est sûre, la religion catholique a besoin plus que jamais d'un leader charismatique. Les trop nombreux scandales qui éclaboussent son personnel lui ont fait perdre beaucoup de son autorité morale. Facebook est la nouvelle église. Le virtuel a remplacé le spirituel. Les gens recherchent l'approbation d'amis inconnus pour donner un sens à leurs agissements.

Depuis deux mois, Benoît XVI faisait partie de la communauté Twitter. Est-ce cela qui lui a fait comprendre qu'il n'était plus dans le coup?

Une chose est sûre, le prochain pape devra cesser de protéger le passé, car l'Église catholique risque de se retrouver avec seulement un passé, et pas d'avenir. Le prochain pape devrait comprendre deux principes fondamentaux: la femme est l'égale de l'homme et la sexualité des gens leur appartient.

L'Église n'est pas une taverne. Il est temps que les femmes puissent avoir un ministère et autant d'influence dans le Saint des Saints que les messieurs en soutane.

L'Église n'est pas une dictature. Elle n'est pas là pour dire aux gens quoi faire de leur vie, mais pour inspirer les gens à faire quelque chose de leur vie.

Le prochain pape doit revenir à l'enseignement de Jésus. Un prophète tolérant et ouvert dont la doctrine se résume à une phrase: aimez-vous les uns les autres.

C'est ça, le rôle de l'Église. C'est ça, le rôle du pape. Nous aider à nous aimer les uns les autres. Car on a besoin d'aide. Mais on n'a pas besoin de menaces ni de jugements. Juste de se faire rappeler ce qu'on oublie trop souvent: on est plus heureux quand on est bon. Bon comme dans bonté.

Le prochain pape doit être bon. Pas infaillible. Juste bon.