J'ai fait mes études secondaires dans les années 70. Une décennie où le nouveau côtoyait l'ancien. Dans certaines écoles, on commençait à donner des cours de sexualité; dans d'autres, on donnait encore des cours de latin. J'allais au Collège de Montréal, géré par les pères sulpiciens, donc j'avais pas de sexe mais du latin.

Cinq ans de latin. À apprendre des conjugaisons. Le verbe aimer: amo, amas, amat, amamus, amatis, amant. À faire des versions. Optimus imperator era, tu étais un très bon général. À faire des compositions. Quid restat ex ea cunctis? Que reste-t-il de tout cela?

Les Romains n'ayant pas imposé de loi 101 aux territoires conquis, le latin est une langue morte depuis des siècles. N'étant pas un intime de Bernard Landry, je n'ai donc pas la chance d'échanger en latin avec qui que ce soit. Toutes ces années d'étude m'ont tout de même permis de mieux comprendre les racines de ma langue, qui n'est pas morte encore, heureusement. L'apprentissage du latin structure aussi la réflexion et permet de faire un voyage dans le temps à l'une des époques les plus fondatrices de la pensée humaine: la civilisation romaine.

Cela dit, dans la vie de tous les jours, on a rarement besoin d'y faire référence, sauf quand arrive le Super Bowl! Étonnamment, le plus américain de tous les événements, pour ne pas dire le plus chicken wings de tous les happenings, s'est attribué un nom latin, ou plutôt un chiffre romain.

Demain, nous aurons droit, en direct de La Nouvelle-Orléans, au Super Bowl XLVII. Ça va être écrit partout en gros: Super Bowl XLVII. Pour les membres de la génération texto, il ne s'agit pas du Super Bowl extra-large-v-deux, mais bien du Super Bowl 47. Pourquoi l'écrire ainsi alors que la grande majorité de la population de l'empire américain n'a aucune connaissance du latin et pense que César est une salade? Parce que ça fait big! Parce que ça fait prestigieux.

On aurait pu désigner le Super Bowl de demain comme le Super Bowl 2013; après tout, ce sera le seul match de Super Bowl disputé cette année. Mais puisque la saison régulière menant au Super Bowl 2013 s'est jouée en totalité en 2012, ça risquerait de mêler l'amateur de sport moyen. Voilà pourquoi on a décidé de chiffrer chacune de ces rencontres comme on le fait pour les tomes, pour les grands classiques.

On aurait pu choisir les bons vieux chiffres arabes compris de tous: Super Bowl 47. Mais les visionnaires de la NFL craignaient que cette désignation n'ajoute à la confusion. Imaginez, dans 100 ans, un fan de football qui regarde des archives du Super Bowl 47. Il risque de croire que cette partie a eu lieu en 2047 ou en 1947. C'est comme Expo 67, ça ne signifie pas la 67e expo, mais bien l'Expo de 1967. En adoptant les chiffres romains, la NFL a inscrit son championnat hors du temps. Le Super Bowl n'appartient à aucun calendrier. Il est son propre calendrier. La vie a commencé avec le Super Bowl I. Et nous vivons maintenant dans l'ère du Super Bowl XLVII.

Quid quid latine dictum sit, altim videtur. Ce qui est dit en latin semble plus important. Les dirigeants du football américain ont réussi à nous faire croire qu'il n'y avait pas d'événement sportif plus important que le Super Bowl. Aucune finale de série mondiale au baseball, aucun match de la Coupe Stanley au hockey, aucun match de championnat de basketball ne rivalise avec la gigantesque entreprise du couronnement de la meilleure équipe de football.

Bien sûr, le fait que tout se règle en une rencontre est un énorme avantage. Mais si le Super Bowl largue tous les autres championnats dans la brume, c'est parce que, mieux que quiconque, les organisateurs ont compris que, au-delà d'un événement sportif, le Super Bowl est avant tout un show de TV.

Le match en tant que tel est souvent bien ordinaire, mais l'émission de télé est toujours extraordinaire. À cause de la façon de commenter le match, de le filmer, à cause du spectacle de la mi-temps présentant les plus grandes légendes de la musique pop, de Michael Jackson à Madonna en passant par Paul McCartney et Bruce Springsteen. On veut tellement tenir le téléspectateur en haleine que même les pubs sont bonnes. Il y en a même qui ne regardent le Super Bowl que pour les publicités. Jamais vu ça pour une autre émission.

J'ai des amis qui ont assisté à un Super Bowl en personne. Assis dans les gradins. Ils ont aimé ça, mais pas autant que devant leur télé. Un spectateur à un match de Super Bowl est figurant sur le plus titanesque des plateaux de télé. Tout est pensé pour le monde à la maison. C'est ben juste si la NFL ne fournit pas les ailes de poulet à chaque foyer.

Le Super Bowl est une réalité tout américaine. Chez nos voisins du Sud, c'est une obligation sociale. Comme Thanksgiving.

Qui va gagner? CBS.

Panem et circenses.

Du pain et des jeux.