Je serai là, ce soir. C'est certain. J'ai hâte. Je ne bouderai pas mon plaisir. Le Canadien fait partie de mes bonheurs depuis ma tendre enfance. Comme le sucré et la musique. Je les ai toujours aimés. Les plaisirs éphémères sont si nombreux, un plaisir qui dure, c'est une richesse.

Bien sûr, le lock-out m'a déprimé. Voir des milliardaires et des millionnaires se chicaner pour mon cash, y a de quoi s'indigner. Ce qu'il y avait de plus frustrant, durant ce conflit, c'était de constater que jamais les deux parties ne se sont senties pressées de régler de peur de perdre leur public. Ils nous savaient acquis. Et ils avaient raison. Peut-être pas aux États-Unis, mais ici, oui.

Que voulez-vous, on n'a que ça: le hockey. En attendant, j'aurais pu suivre la Ligue de hockey junior majeur du Québec, les Bulldogs de Hamilton ou le championnat mondial junior. Je l'ai fait un peu, mais ce n'était pas pareil. J'apprécie le hockey. J'adore le Canadien. C'est quand ce club joue que mon amour du sport devient une passion. Que le jeu devient sérieux.

Le Canadien, c'est moi. C'est mon nom de famille. Je ne l'ai pas choisi. Je suis né avec. C'était décidé pour moi. Avant moi. À cause des Vézina, des Joliat, des Morenz, des Richard. Ce sont mes grands-parents, mes oncles, mes pères...

Les joueurs peuvent passer, les coachs être congédiés, les directeurs-gérants être remplacés, les propriétaires peuvent vendre ou acheter, moi, je fais toujours partie de l'équipe.

Depuis plusieurs années, mon équipe en arrache. Ce n'est plus la dynastie avec laquelle je suis tombé amoureux. Ce qui me chagrine le plus, ce n'est pas qu'elle ne gagne plus autant. Personne n'est à l'abri des passages à vide. Ce qui me mine, c'est qu'elle ait oublié qui elle était. Il faut savoir d'où l'on vient pour trouver le chemin qui mène plus loin. En recrutant si peu de joueurs de chez nous, en n'incitant pas ses capitaines à communiquer avec les partisans, en ne faisant jouer que du U2, le Canadien est devenu un team comme les autres. Et un team comme les autres termine dernier.

Malgré cela, c'est toujours mon équipe. Parce que ma relation avec elle est inscrite dans la durée. Les Koivu, Gauthier, Cunneyworth ne sont que de passage. Le Canadien appartient à ceux qui demeurent. Les Montréalais, les Québécois, fidèles depuis plus de 100 ans.

Les joueurs du Tricolore n'ont pas tous besoin de venir de Rosemont, mais ils doivent, en eux, avoir le désir d'être adoptés par ceux qui y vivent. Pour profiter de la force que nous procure le sentiment de ne pas jouer juste pour soi, mais de jouer pour des millions. De gens, pas de dollars.

Je parle au «je» depuis le début, mais je pourrais facilement parler au «nous». Car c'est ce qu'il y a de plus beau là-dedans. Ce plaisir n'est pas solitaire. Il est partagé. Il nous rassemble. On est une maudite grosse gang à avoir hâte à ce soir. Après une saison minable, après un lock-out interminable, on est encore là. On est des fans faciles. Pas besoin de rien faire, on accourt aussitôt qu'ils le veulent. C'est pas à cause du hot-dog, du sac de croustilles et du Coke gratuits. C'est pas le gras trans qui nous met en transe. C'est l'effort, c'est le but, c'est la victoire. Pas mal plus difficile à donner qu'une saucisse écrasée. Seront-ils capables? Je le leur souhaite. Je nous le souhaite.

Ce soir, après l'Ô Canada, j'applaudirai les gens autour de moi. J'applaudirai leur amour indéfectible pour le Canadien. Ces 20 000 personnes en délire sont aussi impressionnantes que les arrêts de Price ou les feintes de Galchenyuk. Surtout ce soir. Les joueurs et les dirigeants sont au Centre Bell parce qu'ils ont finalement signé leur contrat. Les fans n'ont pas de contrat. Juste un coeur qui aime le Canadien. C'est beaucoup plus engageant.

La direction du Canadien a un public captif, et elle en profite. Dans plusieurs villes de la LNH, on a radicalement réduit le prix des billets pour remercier les supporteurs de leur patience. Pas pour des matchs interéquipe, pour de vrais matchs. Ici, on n'a pas senti le besoin de le faire. C'est correct. On est là pareil. Tout contents avec notre roteux.

Mais que je ne voie pas un membre de l'organisation du CH venir se plaindre qu'on est trop exigeants, chialeux, critiqueux. Que l'on met trop de pression sur leurs épaules. Ils ne nous dorlotent pas, pourquoi on les dorloterait?

On est des fans faciles, mais des connaisseurs difficiles. Qui aime bien châtie bien.

Bonne saison, messieurs Therrien et Bergevin!

Grâce à vous, l'espoir d'avoir une équipe à l'image des gens qui l'encouragent renaît.

Une équipe qui se présente à tous les matchs.

Comme nous.

Bonne saison à nous aussi!