Début décembre, Daniel Sénésael, le maire de Néchin, en Belgique, annonce que l'acteur français le plus connu au monde, Gérard Depardieu, a élu domicile dans son petit village, situé à 1 km de la frontière française. Le monument du cinéma français veut ainsi éviter de payer le nouvel impôt des riches, majoré à 75% des revenus par le gouvernement Hollande.

Le premier ministre de la France, Jean-Marc Ayrault, déclare que le départ de Depardieu est assez minable. Gérard se choque, comme Obélix quand on touche à Idéfix. Il vend son hôtel particulier à Saint-Germain-des-Prés et rend son passeport français.

Tel Cyrano insulté sur son nez, il y va d'une tirade adressée au PM dans le Journal du dimanche:

«Minable, vous avez dit "minable"? Comme c'est minable. [...] Je n'ai jamais tué personne, je ne pense pas avoir démérité, j'ai payé 145 millions d'euros d'impôt en 45 ans. [...] Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence doivent être sanctionnés. [...] Je vous rends mon passeport [...]. Nous n'avons plus la même patrie.»

Depuis, Gérard Depardieu se magasine une autre nationalité. Il s'est informé sur la façon de devenir belge. Paraît qu'il ne suffit pas de manger des frites. Il a tendu une perche à son ami Vladimir Poutine pour obtenir un passeport russe. Bref, Depardieu tente de délimiter son nouveau territoire. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il fait pipi dans les avions?

Jeudi dernier, Poutine a accordé la citoyenneté russe à Jean de Florette. Pagnol rencontre Dostoïevski. Depardieu s'est dit ravi et a vanté la grande démocratie russe (?), là où l'on ne traite pas les citoyens de minables. Et toc, dans les valseuses! Ce que Depardiovski n'a pas dit mais qu'il a sûrement pensé, c'est que la Russie est un formidable pays surtout parce que riches et pauvres payent tous 13% d'impôt.

Christophe Colomb va donc découvrir la Russie. Mais, selon moi, Depardieu sera un citoyen russe qu'on verra plus souvent à Hollywood qu'en Sibérie.

Des riches qui quittent leur pays pour avoir plus de fric, il y en a des milliers qui le font sans qu'on en entende parler. Mais Depardieu qui quitte la France, c'est comme si Springsteen quittait les États-Unis, comme si Vigneault quittait le Québec, comme si Skippy quittait l'Australie. C'est un morceau de l'identité nationale qui déménage. C'est une image forte.

Pour certains, son geste est une trahison. Pour d'autres, c'est le geste désespéré d'un homme persécuté par une patrie non reconnaissante.

Qui a une dette envers qui?

La société a-t-elle une dette envers les riches ou les riches ont-ils une dette envers la société? Et jusqu'où peut-on les faire payer?

Devient-on riche grâce à la société, en dépit de la société ou aux dépens de la société? Le débat peut être sans fin.

Prenons l'exemple d'Obélix. Obélix est devenu puissant en tombant dans la marmite de potion magique lorsqu'il était petit. Depuis, il est l'homme le plus fort du village gaulois. Si, tanné de toujours se battre contre les Romains pour défendre ses semblables, il décidait d'aller vivre en Russie et de manger du sanglier en buvant de la vodka pour le reste de sa vie, serait-il un traître?

Les gens riches deviennent riches en partie grâce à eux et en partie grâce aux autres. C'est Obélix qui a sauté dans la marmite mais, s'il n'y avait pas eu de marmite, il n'aurait pas pu sauter dedans. Si le cinéma français n'avait pas existé, Depardieu n'aurait pu devenir multimillionnaire en sautant dedans. Bien sûr, c'est son talent qui l'a hissé au sommet de sa profession, mais c'est aussi la marmite: les artisans, les producteurs, l'État et le public. Les ingrédients de la potion magique. Et c'est ainsi pour toutes les industries. C'est une combinaison d'actions jumelées à sa propre volonté et à ses propres capacités qui permettent à un individu de sortir du lot. De devenir le plus fort. Maintenant, quel est le pourcentage de collectif et d'individuel dans cette réussite? Comment savoir?

La misère des riches n'émeut personne. Depardieu a-t-il le droit d'aller vivre ailleurs? Oui. Les Français ont-ils le droit de se moquer de ce monstre sacré qui sacre son camp? Oui.

Le problème, ce n'est pas juste Gérard. Le problème, ce sont tous les riches qui font partir leur argent du lieu où ils l'ont gagné. Tous ces comptes en Suisse, tous ces paradis fiscaux.

Les indignés réclamaient un nouveau partage.

Il faut trouver une façon pour que tout le monde ait sa place. Que tout le monde soit ensemble, que tout le monde fasse partie du banquet à la fin de l'histoire. Et si Obélix doit manger deux sangliers au lieu de trois pour que tout le monde puisse manger, qu'il soit prêt à le faire.

Il ne faut pas faire fuir les riches, au contraire, il faut qu'ils fassent partie de la solution. Et les pauvres aussi.

Tout le monde à table! Même Assurancetourix!