J'entre dans l'immense salle d'étude du Collège de Montréal. Des centaines de pupitres en bois sont alignés. Je vais rejoindre le mien. Dans cinq minutes, c'est le début de la version latine. On doit traduire un texte sur les guerres de César en latin. Mon chum Meloche vient me voir:

«Hé, Stéphane, on a fait la même version dans ma section, ce matin, veux-tu que je te donne le corrigé?»

Oh! Les profs de latin du Collège ont oublié de se consulter. Remettre le corrigé d'un test à la section A de troisième secondaire avant que la section C ait passé le sien, ce n'est pas très malin. Les élèves le sont davantage. Je n'ai qu'à prendre la feuille que me tend Meloche et je suis assuré d'avoir 100%. Cent pour cent, c'est top! J'hésite quand même. C'est trop facile. Mon ami ne me comprend pas, il me met le corrigé dans les mains: «Prends-le! La cloche va sonner!»

Au même moment, M. Fournier, surveillant de l'étude, surgit devant nous: «C'est quoi, ça?»

Il s'empare de la feuille. Je bégaie: «C'est... c'est... c'est pas ce que vous croyez...»

Il a déjà dans ses mains une pile de corrigés confisqués à d'autres élèves durant la pause. Il nous regarde comme Dirty Harry regarde ses victimes avant de les exécuter: «Laporte, Meloche, vous avez zéro. Et vous irez voir le supérieur à 4h.»

La cloche sonne. Je suis sonné. Honteux. Pour la première fois de ma vie, je passe pour un tricheur. Ce n'est pas juste. Mon petit ange et mon petit diable débattaient encore. Allais-je accepter l'offre de Meloche? Je ne le saurai jamais.

Une voix grave en moi disait: les prêtres ont mal organisé leurs flûtes. Tant pis pour eux. Profiter d'une faille dans le système, ce n'est pas vraiment tricher. Et une voix claire, en moi, disait: il vaut mieux ne pas faire ça. Même si personne ne sait que ce n'est pas vraiment moi qui ai traduit la version, moi, je le saurai. Mon 100% ne sera jamais un vrai 100%...

Avant même d'avoir tranché, je me suis fait prendre, le corrigé dans les mains. Toutes les apparences sont contre moi. Je fais partie du scandale des versions latines.

Nous sommes une douzaine à attendre en file devant le bureau du père Lamoureux. Gauthier est là, bien sûr. Gauthier, c'est l'expert tricheur du Collège. Il écrit ses réponses sur ses mouchoirs, sur ses manches, même sur sa pompe contre l'asthme. Les prêtres le savent. Chaque examen est un combat entre les surveillants et lui. Souvent, il s'en tire et les profs lui remettent sa note en grimaçant. Parfois, il se fait prendre, et il paraît que ses parents font des dons aux oeuvres des sulpiciens. Mais il n'y a pas d'enquête là-dessus.

Gauthier sort du bureau du père supérieur. Il sourit et mâche sa gomme. Une fois de plus ou de moins... J'entre, totalement traumatisé. Je plaide ma cause. Le père Lamoureux semble me croire. Je ne savais pas encore si j'allais me servir du corrigé de Meloche quand M. Fournier nous a surpris. Mais le supérieur me réprimande quand même. J'aurais dû, tout de suite, rejeter ce projet louche. Vade retro, Satana! Avoir le réflexe des gens honnêtes. Je n'étudie pas pour avoir la meilleure note possible, j'étudie pour avoir le plus de connaissances possible. Un test sert à mesurer si j'ai bien intégré ces connaissances. Cette mesure m'éclaire sur mon cheminement. Tricher, c'est fausser ma réalité.

En trichant, j'aurais eu 100%, mais je n'aurais jamais su ce que je vaux vraiment. Tous les gens auraient cru que j'avais eu 100% et j'aurais fini par le croire aussi. Et cela m'aurait éloigné de ma quête ultime. Tous les hommes sont sur Terre à la recherche d'une seule chose: la vérité. Amen. Merci, père Lamoureux. J'ai bien retenu la leçon.

On va à l'école pour apprendre le français, les mathématiques, la géographie, la chimie. Puis, un jour, malgré nous, on nous enseigne l'honnêteté. Et c'est le plus beau service qu'on peut nous rendre.

Lance Armstrong était convaincu d'être le meilleur au monde. Pourtant, il était le premier à savoir qu'il trichait. Lance Armstrong ne courait pas après sa vérité. Il courait après la gloire, il courait après le cash. Aujourd'hui, sa vérité le rattrape. Et il donnerait tout ce qu'il a pour qu'elle soit différente. Même chose pour «Monsieur TPS».

Quand réaliserons-nous que tous les raccourcis pour atteindre nos buts ne servent à rien? Seul le chemin donne un sens à ces buts.